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COMMUNISME ? ANARCHISME ?
Categories: Ailleurs, Ressources

 

[Cet article est tiré des Cuadernos de Negación (numéro 2 – Juillet 2009). Revue produite par des camarades argentins. Le premier numéro a paru à l’automne 2007. L’intégralité des numéros de cette revue thématique sont disponibles sur le blog : http://cuadernosdenegacion.blogspot.fr/
Mis à part deux trois références très localisées dans le contexte sud-américain, en tous cas argentin, ce que les notes de bas de page se chargent de rendre plus lisibles, l’article qui suit critique avec simplicité le rapport à l’idéologie et ses écueils dans une perspective authentiquement révolutionnaire, celle de l’abolition des classes. En partant de deux tendances majeures du mouvement révolutionnaire : l’anarchisme et le communisme, et sans en renier les influences, les animateurs de la revue contribuent au débat sur le dépassement des formes militantes sclérosées.
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Nous voulons en finir avec le capitalisme et cela ne se réalise pas simplement en faisant appel à une forme ou une autre comme celui qui invoque un sort étrange.Retour ligne automatique
Groupe « Ruptura », Communistes ou anarchistes ? [1]

Le communisme ce n’est pas une société qui satisferait adéquatement celui qui a faim, soignerait le malade, logerait ceux qui n’ont pas de maison… Il ne peut reposer sur la satisfaction des besoins tels qu’ils existent aujourd’hui, ni comme on pourrait les imaginer dans le futur. Le communisme ne produit pas assez pour tout le monde et le répartit de façon égalitaire entre tous. C’est un monde où les gens entrent dans des relations et des actes (entre autres choses) desquels résulte qu’ils sont capables de s’alimenter, se soigner, se loger… eux-mêmes. Le communisme n’est pas une organisation sociale. C’est une activité. C’est une communauté humaine.Retour ligne automatique
Gilles Dauvé, Déclin et renouveau de la perspective communiste.

Se revendiquer de l’anarchie et du communisme actuellement peut être surprenant pour beaucoup de gens, puisque les deux catégories sont imprégnées (et non sans raison) de beaucoup de déchets, et certains les considèrent même antagoniques. Au-delà des signes [2] et de ce qui se dit, il y a la réalité de ce qui se fait : se définir comme communiste-anarchiste ne signifie pas nécessairement que notre praxis le soit. De la même manière, les formes de praxis aussi dites communistes-anarchistes, ne sont pas nécessairement portées par des individus qui se définissent comme tels. De fait, la majeure partie des personnes qui participèrent aux tentatives révolutionnaires n’étaient pas des partisans de telle ou telle idéologie révolutionnaire.

Les exemples abondent : un grand nombre de communistes autoproclamés jacassent à propos de leur internationalisme et position de classe, mais dans la pratique ils ne font jamais plus que de choisir un camp dans les guerres capitalistes – de préférence celui de « la nation la plus opprimée » ou la moins développée pour justifier ce « moindre mal » qu’est l’anti-impérialisme. D’autres communistes autoproclamés peuvent, également, mettre en avant la nécessaire destruction de l’État, mais dans leur pratique ils en assument la défense jusqu’à l’extrême, pas seulement en participant de façon répétitive aux élections parlementaires, mais en le pressant encore et encore d’accomplir sa fonction et arrêter son déséquilibre. Pour, en définitive, le maintenir debout et repousser sa destruction aux calendes grecques.

En outre, certains autres anarchistes auto-définis, soi-disant ennemis irréconciliables de l’État, ont occupés des postes dans le gouvernement de la République espagnole de 36. Il y a aussi des exemples plus autochtones et plus camouflés comme les anarchistes K [3] qui soutiennent activement et « de manière critique » le gouvernement des Kirchner en Argentine.Retour ligne automatique
Donc nous l’affirmons : se définir de telle ou telle doctrine n’apporte aucune garantie. Et d’ailleurs les raisons abondent encore pour affirmer : soit on prépare les élections, soit on prépare la révolution.

Le communisme et l’anarchie ne sont pas un idéal à atteindre : ce sont des formes d’activité et des rapports sociaux qui se manifestent comme une tendance dans les luttes réelles et concrètes contre le capital et l’aliénation en général. A travers le communisme dans l’anarchie on ne peut pas donner de solutions aux problèmes du capitalisme, on ne propose pas que celui-ci soit plus rationnel ou moderne : ce sont là les fondations du vieux monde, justement celles que l’on veut détruire, et non pas améliorer, cela c’est le travail du réformisme, pas des révolutionnaires. Puis lorsqu’on nous demande « mais quelle société vous proposez ? » nous concluons : qu’en attendant les réponses aux questions de ce monde, ce ne sont pas les réponses qui échouent, mais la question qui est un échec.Retour ligne automatique
L’anarchie n’est pas un ensemble de mesures à prendre au lendemain de la révolution, c’est ce que nous faisons aujourd’hui pour y arriver, ou pour mieux nous développer dans une situation pré-révolutionnaire.Retour ligne automatique
Nous comprenons que des décennies et des décennies de contre-révolution et de passivité des « communistes » et des « anarchistes » provoquent le dégoût pour ces concepts : les pays dits « communistes », les groupuscules nationalistes, populistes, stalinistes, trotskystes, léninistes, maoïstes d’une part ; et libéraux, artistes, opportunistes, pacifistes, intellectuels, punks drogués, hippies accrocs à la consommation de misère et d’autres vomissements de la sous-culture de l’autre… ont seulement servi d’obstacles au développement des outils pour l’auto-suppression de notre classe. Mais malgré tout ça, nous refusons de rejeter tout l’arsenal du mouvement révolutionnaire, car il fait partie de notre histoire et nous ne permettrons pas qu’il reste entre les mains des imbéciles de toujours.

Nous comprenons l’activité révolutionnaire comme une tension [4], puisqu’elle dépasse ce que peut être une philosophie, une théorie politique et même une pratique : c’est une manière de concevoir la vie, de s’impliquer dans ce qu’on essaie de transformer. Cela ne peut en aucune manière être autre chose que la réalité, et c’est clairement pour cela que nous changeons personnellement, mais ce ne sera jamais l’objectif final, mais seulement une conséquence logique, interne à ce que nous appelons communément « les contradictions que nous vivons ». Ce concept est aussi relativement discutable, car comme nous le disions auparavant, notre intention n’est pas de transformer un objet extérieur à nous-mêmes mais transformer la vie, cette même vie qui nous contient : nous voulons abolir la contradiction entre cette forme de non-vie et précisément l’humain.

Cette contradiction, à son tour, n’apparaît pas au moment de l’adoption d’une idéologie particulière. De fait, les idéologies n’apporteront en ce sens rien de plus que le sentiment d’appartenance et mouvement, comme si l’adhésion allait conduire à la révolution finale. En définitive, nous voulons faire comprendre ceci : nous ne sommes pas en contradiction avec cette réalité en raison de l’idéologie à laquelle nous adhérons ou pas, c’est à dire que nous ne sommes en contradiction parce que nous sommes communistes et que nous vivons dans le monde de la propriété privée, nous ne sommes pas en contradiction parce que nous sommes anarchistes et vivons sous le regard de dieu et sous la semelle d’un gouvernement. Nous sommes en contradiction parce que nous sommes salariés, exploités et opprimés dans tous les aspects de notre vie et c’est cela qui nous pousse à lutter. Nous reconnaîtrons plus clairement la contradiction entre la vie et ce qui la menace, mais jamais nous ne sortirons de la réalité, pour la simple et bonne raison que nous vivons dans ce monde.

La simple idée d’être libres dans un monde d’esclaves est inadmissible, comme est inadmissible pour cette même situation la justification d’autres « contradictions idéologiques » qui sont elles-mêmes résolubles comme la cohérence entre les moyens et la fin, la solidarité, etc. La réalisation immédiate [5] de l’individu l’est aussi, car il semblerait que la propagande capitaliste ait porté ses fruits : nous voulons tout, ici et maintenant, et si quelque chose ne nous l’offre pas, nous ne l’achetons pas… Si, nous achetons ! Parce que parfois on comprend la théorie-pratique révolutionnaire comme une marchandise supplémentaire, qui peut et doit plaire, donner une identité avec laquelle il est possible de sympathiser, et finalement l’abandonner quand bon nous semble, parce qu’il s’agit d’une partie séparée de notre vie, de laquelle on pourra se passer quand ce sera nécessaire.

Mais nous avons compris, comme beaucoup de gens que la révolution n’a de sens que comme transformation du quotidien, même si malheureusement cela a été mal interprété au point de croire qu’une transformation du quotidien équivaudrait à une révolution [6].

Cette conception est similaire aux tendances, pas si nouvelles que ça, du new age, qui nous disent qu’on peut être heureux et accomplis si nous avons la « paix intérieure », c’est juste que certains en arrivent à la même conclusion avec une « révolution intérieure ». Révolution intérieure que nous croyons nécessaire au préalable, comme une étape essentielle, mais qui nous dépasse dans le même instant car il ne s’agit pas d’une invention individuelle de chacun, c’est peut-être un aspect de la lutte révolutionnaire qui peut commencer en modifiant certains aspects de nos vies et en nous poussant plus tard à avoir un rôle dans l’extension de ces changements à la totalité du monde… Puisque nous ne pouvons nous réaliser en tant qu’individu que dans la mesure où nous interagissons avec d’autres gens.

« Ceux qui parlent de révolution et de lutte des classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu’il y a de subversif dans l’amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont un cadavre dans la bouche », affirmait Raoul Vaneigem, et derrière cette affirmation se sont planqués, et non sans raison, lui comme les autres « réformateurs de la vie quotidienne ». Mais nous pourrions aussi comprendre cette déclaration en comprenant son autre face : que ceux qui parlent de transformer la vie quotidienne sans se référer explicitement à la révolution et à la lutte des classes, sans comprendre ce qu’il y a de subversif dans l’action individuelle mais aussi sociale et de positif dans le refus des idéologies individualistes, ceux-là ont aussi un cadavre dans la bouche… Les deux affirmations sont vraies, mais séparées ce ne sont que des vérités partielles.

Notre plus grande force réside dans la globalité de notre implication, dans notre adhésion non pas à un groupe, une contre-culture, une idéologie ou un chef… mais au mouvement réel d’abolition de tout ce fait de nous des étrangers à nous-mêmes. « Ce qui rend une lutte globale et universelle, ce n’est pas sa généralisation ou sa généralité, mais sa radicalité ; c’est à dire son aspect transgressif, subversif, sa capacité à menacer la totalité du système et sa légitimité.Bien que partielle, locale ou ponctuelle, cette lutte contre chaque aspect de la violence capitaliste prend, si elle est radicale, un caractère total. Elle ne débouche pas sur une distribution différente du pouvoir mais sur sa destruction. Elle ne vise pas la nationalisation des moyens de production mais la destruction de la valeur d’échange et la gratuité du don [7] ».

POST DATA :

Nous n’avons ni l’intention d’adhérer ni de contribuer à ces courants hybrides appelés « marxisme libertaire » ou « anarcho-marxisme », nous ne sommes pas en train de fabriquer un casse-tête, et n’ajoutons aucun fragment de Marx à Bakounine (ou vice versa), mais nous prenons plutôt en compte certains anarchistes et Marx (mais pas les marxistes) comme ils durent évaluer certains révolutionnaires du passé pour pouvoir les dépasser.

D’une part, derrière la catégorie « anarchisme » certains ont nommé, tel que nous l’avions déjà dit, plusieurs courants et conceptions du monde, même antagoniques, peut-être à cause de leur propre manque d’un guide ou d’une doctrine plus rigide. Ça a heureusement permis à certains anarchistes d’avancer véritablement sans le poids de cette « Sainte Famille » de penseurs et de dogmes, pour d’autres ça leur a permis d’appeler « anarchisme » tout ce qu’ils ont envie. D’autre part les marxistes, avec les textes de Marx qui clama expressément « je ne suis pas marxiste », ont aussi fait ce qui leur faisait envie. Comme quoi, ajouter un « isme » au nom d’une personne déjà morte ne garantit rien non plus.

Depuis les débuts du mouvement ouvrier, les deux courants historiques avaient en leur sein une expression réformiste et une autre révolutionnaire, mais il semble que maintenant au lieu de réfléchir sur leurs points forts, ils revendiquent leurs faiblesses, et ne pas seulement de la part de leur rival respectif et pour le triomphe de son idéologie dans une discussion médiocre, mais aussi définis par le « iste » dont on parlait. Dans le passé, s’être défini comme bakouniniste ou comme marxiste ne permit pas de dépasser ces deux idéologies, et c’est aujourd’hui que cette division nous arrive rampante du passé et à chaque fois plus pourrie. Notre avantage de les considérer comme des idéologies réside dans le fait montrer clairement la nécessité de dépasser ce que cette division a de faux problème. Pour Debord, chacune d’elle possède « une critique partiellement vraie, mais perdant l’unité de la pensée de l’histoire, et s’instituant elles-mêmes en autorités idéologiques  ».

Un courant peut avoir compris que l’État doit être aboli de n’importe quelle manière, l’autre aura compris quelles sont les raisons qui conduisent à instituer un État et dans quel but il existe, par exemple… alors qu’allons-nous faire ? Chacun défendre son « isme » contre celui de l’autre pour ainsi chacun avoir une vérité partielle, qui séparées l’une de l’autre n’aboutirons jamais à rien ?Retour ligne automatique
Si nous nous subordonnons à un « isme », nous serons toujours moins critique à propos de lui que des autres, puisque nous subordonnerons toute notre activité (y compris la critique) au triomphe de l’« isme » pour lequel on a pris partie. Nous nous transformerons en défenseur de cet « isme », en conservateur de cette tradition spécifique [8].

Ces tendances (anarchisme, marxisme…) sont des exigences de la pratique, mais ce dont il s’agit c’est de la théorie du prolétariat, qui est requise par sa pratique pour s’auto-supprimer en tant que classe.

Notes :

1Texte paru dans le numéro 2 de la revue Ruptura, éditée à Madrid. Recommandé pour approfondir cette question. http://gruporuptura.wordpress.com/about/

 

2Dans notre histoire, les révolutionnaires se sont appelés ainsi eux-mêmes ou ont été nommés de plusieurs façons : luddites, communistes, socialistes, nihilistes, anarchistes, libertaires, situationnistes, encapuchonnés et même libéraux (comme le groupe auquel participait Ricardo Flores Magon). Ces adjectifs ont aussi qualifié divers réformistes et bourgeois. Et bien que ces catégories tendent à améliorer la communication et la compréhension, bien souvent elles provoquent l’inverse.

 

3Pour plus d’informations à ce sujet, lire l’article écrit par Federico Martelli, dans la revue Veintitrès (Fév. 2007), intitulé « Los anarquistas de Scioli », où on peut lire des choses du style : « J‘ai une formation anarchiste, socialiste et péroniste. J’essaie de garder le meilleur de chacun de ces courants. Je garde de l’idéologie libertaire l’amour de la liberté. Du péronisme les profondes transformations sociales réalisées. Des partis il peut y en avoir beaucoup, l’important c’est de savoir quel est le mouvement national qui représente les travailleurs. » Extrait du numéro 42 de la revue ¡Libertad! (publiée par le groupe du même nom). [NdT : Se référer aussi l’article de Juan Manuel Ferrario, intitulé « Anarcho-péronistes ? », traduit par le collectif de traduction CATS et accessible sur leur site : http://ablogm.com/cats/].

 

4« Voici ce qui différencie un politicien d’un révolutionnaire anarchiste. Pas les mots, pas les concepts et si vous le permettez, à certains égards même pas les actions, car sa finalité n’est pas de se conclure dans une attaque – disons radicale – ce qui les qualifie, mais dans le mode dans lequel est la personne, le compagnon qui effectue ces actions, et parvient à en faire un moment expressif de sa vie, une caractérisation spécifique, de la force pour vivre, de la joie, du désir, de la beauté, et pas une réalisation pratique, pas la réalisation d’un acte qui se suffit mortellement à lui-même et octroie le pouvoir de dire : « j’ai fait ça aujourd’hui ». Alfredo M. Bonanno, La tension anarchiste.

 

5Ici réapparaît la vision moderne du monde selon laquelle tout est instantané… dans l’imaginaire révolutionnaire, nous commettons souvent l’erreur de vouloir utiliser comme synonymes « spontané » et « immédiat ». Dans les faits, « spontané » fait référence à ce qui est réalisé sans être provoqué par des éléments externes, et pas par l’immédiateté (ou pas) avec laquelle s’effectue l’acte révolutionnaire.

 

6Gilles Dauvé, Préface à l’édition espagnole de Déclin et renouveau de la perspective communiste, aux éditions Espartaco Internacional. http://www.edicionesespartaco.com/

 

7Etcétera, Glosa marginal a las « Glosas criticas marginales »http://www.sindominio.net/etcetera/

 

8N’importe quel exemple peut toujours être mal interprété (ou mal compris), particulièrement dans celui-ci, nous ne nous affairons pas, comme certains le prétendent, à combiner « l’idéalisme anarchiste » à « l’économicisme de Marx », d’une part car ça ne nous intéresse pas de le faire et d’autre part, et c’est la raison principale, car nous caricaturons pas ces courants à base d’adjectifs stupides et erronés.

 

9Ricardo Fuego, La propaganda subversiva y los « ismos » (2006)http://proyectocai.zymichost.com/nuestros/index_nuestros.html

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