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Toulouse
Réquisitions directes et luttes collectives
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Dans la période actuelle de restructuration du capitalisme, expression compliquée pour traduire en douceur qu’une guerre quotidienne est menée contre le prolétariat, le logement est un point de tension permanent et un terrain où la lutte des classes se manifeste régulièrement1. Immanquablement la crise envoie chaque jour de plus en plus de gens à la rue2. Par ce biais s’exerce une violente gestion des populations les plus pauvres, expulsées de leur logement ou encore reléguées loin des centres au gré des projets d’urbanisme. Cela participe à l’épuration progressive et programmée de toute une frange du prolétariat à qui le capitalisme ne promet plus aucun avenir. Cette situation génère des mouvements de «mal-logés » qui peuvent prendre différentes formes, comme le squat, qui revient à s’approprier un logement vide, ou bien comme s’opposer physiquement aux expulsions locatives. Ces mouvements sont animés d’une nécessité de survie, et leur principale revendication, formulée ou non, est d’avoir, ou de garder, un toit sur la tête.
Pour être plus complet, s’organiser contre les expulsions ou le mal-logement ne peut se résumer à une affaire de choix ou de velléités radicales, et trouve ses racines dans la situation matérielle qui voit de nombreux prolétaires se faire progressivement dépossédés, et dont la survie passe par l’usage gratuit de leur logement et l’auto-défense collective face aux flics et aux huissiers. Ceux-là sont chargés de rappeler par la force que l’utilisation d’un endroit pour vivre se paye comme n’importe quel service ou n’importe quelle marchandise.
Deux dynamiques actuelles de lutte, imprégnées de cette dimension d’auto-défense collective, sont particulièrement intéressantes : la campagne de réquisitions directes, impulsée par le CREA3 à Toulouse et la résistance collective aux expulsions locatives (les sfratti) à Turin. On peut y voir deux manières de faire face, par l’action directe, aux instances bourgeoises qui foutent des gens à la rue à tour de bras. Toulouse comme Turin sont deux villes où il existe une tradition de squats  « militants » ce qui en terme d’ambiances locales, en fait peut-être des terrains plus propices aux occupations et aux résistances. A Turin, la récente lutte anti-sfratti est apparue dans un contexte local particulier où, depuis 2009, la mairie a déclaré la guerre aux squats (pour beaucoup anarchistes) et aux Centres Sociaux. Elle a réaffirmé sa volonté politique de les faire fermer, elle s’y casse encore les dents aujourd’hui face à la détermination des camarades à na pas céder d’un pouce face aux pressions ou aux attaques. Face aux sfratti, les turinois menacés recourent à la résistance et à l’auto-défense collectives à tel point que, face à cette solidarité organisée, les autorités ont énormément de mal à foutre les gens hors de leur logement.
Locataires expulsables et habitants des squats de la ville s’organisent depuis près d’un an pour empêcher physiquement les huissiers et les flics de procéder aux expulsions. La répétition victorieuse de ces actions « anti-sfratti » donne tout son sens à l’autodéfense. Face à l’efficacité de la résistance, les autorités avaient décidé de regrouper les expulsions sur une même journée pour disperser les forces. Peine perdue, le 18 septembre des barricades ont été érigées dans le quartier Barriera di Milano et toutes les expulsions programmées ce jour-là ont été empêchées. L’appel à la solidarité a fonctionné et au final la tactique policière a été facilement ruinée.
L’auto-défense « populaire » est aussi mise en avant par le CREA. Elle intervient comme le refus de se laisser piétiner la gueule par les divers bailleurs et de céder à la mort lente promise par les capitalistes. Ce refus s’est concrétisé à Toulouse par la réappropriation, dans le cadre de la campagne « Zéro famille à la rue », de plus d’une dizaine de maisons ou bâtiments vides qui tiennent plus ou moins longtemps en fonction du rapport de force engagé. Et plus d’une centaine de galériens du logement, de familles sans domicile ont été relogées. Parmi tous ces bâtiments, d’anciens locaux de l’AFPA avaient été transformés en un « Centre Social autogéré » qui a tenu environ un an et demi. Dans la foulée de l’expulsion du CSA, un ancien bâtiment de l’URSAFF de plus de 5000 m2 avait à son tour été réquisitionné avant d’être expulsé en grande pompe à peine un mois plus tard, avec le GIPN et pas moins de 200 flics. Le CREA commençait à représenter quelque chose sur la ville, les autorités se sont chargés d’en empêcher le développement. Malgré plusieurs expulsions des lieux initialement ouverts, la campagne se poursuit aujourd’hui. Comme toute intervention sociale sur la durée, un rythme intense est parfois dur à tenir. Depuis quelques mois, plusieurs maisons vides sont squattées dans le quartier Bonnefoy où s’est terminée la manifestation contre les expulsions du 17 novembre dernier. Ce quartier « populaire » de Toulouse, proche de la gare, doit être transformé dans les années à venir par le projet d’urbanisme TESO (Toulouse Euro Sud-Ouest). Cela ouvre d’autres perspectives de lutte en mêlant mouvements de mal-logés et lutte de quartier contre les transformations programmées qui auront comme conséquences directes l’augmentation du prix des loyers et l’expulsion des habitants pauvres.

Ces résistances mettent en lumière une autre revendication que le simple « droit au logement » : sa gratuité. La gratuité immédiate et sans médiation est le mode d’action pris par l’ensemble des résistances réelles au mal-logement, des plus isolées aux plus collectives4. une mise en cause pratique du principe de propriété. Cet usage gratuit de logements est évidemment combattu par les capitalistes appuyés par leurs habituels hommes de main (police et Justice encore!), pour éviter toute propagation. Et surtout le fait que la revendication soit auto-satisfaite met les proprios devant le fait accompli, et leur impose d’utiliser le recours à la force. Ces luttes arrivent à fissurer le traitement individuel que nous réservent habituellement ces administrations ou institutions face auxquelles il est impossible de gagner seul.

A la différence des grèves de loyers, ce mode d’action par la gratuité n’a pas vraiment le sens de « on ne paie pas ! » mais plutôt « de toutes manières on ne peut pas payer et on se défend !». D’ordinaire, on ne squatte pas pour le « mode de vie ». Même si cette tendance lifestyle peut encore exister, c’est finalement assez rare de squatter par choix (par refus politique d’enrichir un proprio par exemple), car la pratique du squat est répandue bien au delà des milieux politiques révolutionnaires. RésISTE (Réseau InterSquats Toulouse et Environ)5, dans sa présentation3, tend vers cette idée qu’il s’agit d’une fausse distinction en affirmant que « tout squat est « politique », dans la mesure où il bouleverse, même parfois involontairement, l’ordre social et la propriété privée. »

Bien sûr, ces mouvements ont des limites, comme toute lutte circonscrite par la survie qui équivaut souvent à se battre la tête maintenue sous l’eau. Ces limites tiennent dans la revendication de logements portée auprès des institutions, comme un mauvais réflexe. Bien sûr ce ne peut pas être une stratégie de lutte gagnante et on ne peut décemment accorder aucun crédit aux fausses mains tendues par la mafia des propriétaires publiques ou privés. Et quand bien même le pouvoir cède à un moment, ce n’est toujours que le résultat d’un rapport de force, et nous ne pouvons nous en contenter. « Ce que nous voulons dépasse ce que tout gouvernement peut nous offrir » lit-on d’ailleurs dans un texte contre les expulsions publié par le CREA. Ce qui fait écho à la lutte anti-sfratti : « l’objet de cette lutte a la caractéristique de ne pas se poser que dans le court terme mais d’avoir une existence dont la fin n’est pas imaginable en dehors d’un bouleversement radical de la société. De fait, nous ne pensons pas que l’État soit en mesure de mettre fin au « problème du logement ». A cela s’ajoute le fait que même les maigres concessions que faisait encore l’Etat ne sont aujourd’hui plus d’actualité : même de miettes, il ne reste rien ». (Brochure Lutte contre les sfratti, assemblées, piquets et occupations)

main basse

 

Notes

1- En Algérie, dans un contexte très particulier de clientélisme et de hogra (mépris ostensible de la classe dirigeante envers les pauvres) le relogement au compte goutte des habitants des bidonvilles donnent systématiquement lieu à des émeutes.

2- L’exemple de l’Espagne est marquant avec la mise à la rue de milliers de prolétaires ne pouvant plus s’acquitter des loyers ou des remboursements des crédits auprès des banques. 1,7 milions de familles ont tous leurs membres au chômage, donc zéro rentrée d’argent ! Les autorités expulsent à la chaîne. Pourtant du fait d’une période de construction compulsive (à l’origine de la crise actuelle du BTP), il existe plus d’un logement pour deux habitants et plus de 3 millions sont inoccupés. (Source : « Chômage et logement en Espagne » sur www.tantquil.net)

3- Collectif pour la Réquisition l’Entraide et l’Autogestion : creatoulouse.squat.net

4- L’hiver arrivant, c’est le retour des indignés saisonniers, de la boue humaniste et des bourgeois philanthropes qui se découvrent des problèmes de conscience en attendant le printemps. Du côté des interlocuteurs habituels des gouvernements on retrouve aussi des faux-amis de longue date des mal -logés comme les citoyennistes du DAL, Emmaüs ou encore les boloss de « Jeudi Noir ». Même si cela peut arriver qu’ils recourent à l’occupation de logements vacants, ça s’inscrit toujours dans la volonté spectaculaire d’alerter les pouvoirs publiques, de jouer le tampon entre mal-logés et institutions et donc de baliser complètement les contestations par une prise en charge infantilisante des demandeurs de logement.

5-RésISTE:        https://toulouse.squat.net/

 

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