Bad Kids
Toulouse
L’internationale de l’austérité
Categories: Le journal

L’austérité va bon train…

« Un tiers [de la population] doit mourir. Ce n’est pas que nous ayons quelque plaisir à les tuer, mais, à vrai dire, il n’y a pas d’alternative. Si on n’en finit pas avec eux, ils finissent par nous entraîner avec eux vers le fond. Et de fait, on ne va pas les tuer vraiment, c’est-à-dire tuer comme le faisaient les nazis. […] C’est eux qui vont mourir. Il suffit que la mortalité augmente un peu plus que dans les autres groupes. 
Et les statistiques le montrent déjà. »
José Vítor Malheiros 3

Le nombre de plans d’austérité, de plans budgétaires, de réformes du code du travail, de licenciements, augmente tellement vite ces dernières années qu’une chronique quotidienne pourrait voir le jour. Et faire le panorama de cette restructuration à grande échelle est bien nécessaire. Si les chiffres ne disent pas tout ils font quand même comprendre pas mal de choses… Comme la violence de ce qu’on prend dans la gueule en ce moment ! Ou comment voir dans nos difficultés individuelles à s’en sortir une sombre généralité du moment.
Partout l’austérité s’est imposée – évidemment pas d’elle même – comme une évidence pour faire face à la crise, « c’est-à-dire pour aider le capital à retrouver le moyen de faire des profits et de rémunérer toujours plus de capital »1, en gros sauver l’économie ! Et si cette attaque du capital dans le partage de la valeur produite est bien globale (elle ne se limite pas à une région du globe, ou à une seule frange de prolétaires), les conditions d’exploitation ainsi que les situations économiques antérieures à ces attaques ne sont pas les mêmes suivant les endroits où l’on habite. L’impact n’est évidemment pas le même suivant que l’on est un travailleur en France ou un chômeur en Grèce, du moins pour l’instant. Cette distinction permet (en partie 2) de comprendre le peu de lutte sur cette question en France ou en Allemagne actuellement, et l’échec des tentatives comme la journée du 14 Novembre de contrer l’offensive capitaliste internationalement.
Nous pensons la question autour de la crise (et de ses répercussions comme l’austérité) comme fondamentale dans l’époque actuelle. Parce qu’elle nous touche directement, que ça ne fait que commencer, et que l’avenir qu’elle impose fait froid dans le dos. Mais parce qu’elle entraîne nécessairement une réaction des prolétaires, elle porte aussi le contenu de la lutte des classes actuelle, et donc de la possibilité révolutionnaire que nous souhaitons et voyons comme seule réponse face au mode de production capitaliste.
Nous tenterons donc de faire un suivi régulier de cette question dans BadKids, et de manière internationale. Nous entendons par suivi le fait de diffuser l’information sur le contenu véritable de l’austérité dans chaque pays car bien que les médias bourgeois nous disent régulièrement que tel ou tel pays a subi un plan d’austérité, ils s’attachent bien à ne pas détailler les mesures concrètes associées à ces plans (nous n’aurons pas la place dans la version papier de faire les listes complètes, vous les trouverez sur notre site ou sur des sites amis que nous mettons en lien, nous nous contenterons ici des mesures les plus marquantes). Des baisses de salaires à la fin des aides sociales, des augmentations de la TVA aux expulsions locatives… Tout cela est nettement plus concret ! Mais faire ce suivi passera aussi (et heureusement!) par parler des luttes qui débouchent de cette situation dans telle ou telle région. Car des luttes il y en a, pas assez dirons-nous, mais quand même trop pour en faire une liste exhaustive !

La mise en place d’une logique.

« Cet accord marque l’avènement d’une culture du compromis après des décennies 
d’une philosophie de l’antagonisme social »
Présidence du Medef, après les accords patronats/syndicats de Janvier

Presque tous les pays d’Europe ont mis en place des « plans d’austérité », mais ce sont ceux qui ont besoin de l’aide de la Troika ( Union Européenne, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International ) qui sont allés le plus loin pour l’instant. « Pas de cadeau sans effort » dit la BCE. D’ailleurs, l’idée que ces mesures soit imposées par encore plus haut que d’habitude sauve l’image de bien des gouvernements actuels qui peuvent à leur guise passer des réformes bien hardcore pour les prolos tout en disant qu’ils sont contre. Subtil jeu où le choix est à une seule donnée.
Principalement ces plans tournent autour de 4 axes (visant en principe à réduire le déficit budgétaire) :
– Restructuration du service publique : suppression du nombre de fonctionnaires (éducation, hôpitaux…), gel ou baisse des salaires, augmentation de l’âge de départ à la retraite et du nombre d’années nécessaires, suppression des 13ièmes mois (là où ils existaient), précarisation et sous-traitance d’une grande partie du personnel…
– Privatisations : ils accélèrent le processus en cours depuis longtemps, gaz, électricité, trains, soins, loteries etc : tout y passe !
– Fin progressive des allocations : le chômage augmente vite, les allocations chômages font elles le chemin inverse dans la majorité des pays. Elles ont même disparu à certains endroits. Ce sont toutes les sortes d’allocations qui sont remises en cause : maternités, bourses d’étude, handicap, santé… La reproduction de toute une partie du prolétariat est donc abandonnée par l’Etat ! Beaucoup de prolos sont devenus indésirables et on nous le fait comprendre.
– Baisse du coût du travail : baisse des salaires, augmentation du nombre d’heures hebdomadaires ou journalièrse, heures supplémentaires payées comme les autres… ou quand les compromis font marche arrière!

Mais il y a aussi conjointement à toutes ces attaques brutes4 une restructuration plus pernicieuse qui se met en place. De la France à la Russie en passant par l’Italie et l’Espagne, la volonté de flexibilisation atteint des sommets.
Main dans la main, les accords syndicats/patronat se multiplient. En Italie les accords de Décembre prévoient notamment une plus grosse flexibilité des horaires, une plus grosse part des salaires liés aux performances et la remise en cause des accords nationaux au profit d’accords inférieurs ou de branche. Le projet de l’union des industriels et entrepreneurs Russes reprend ce type de restructuration : légalisation de l’usage illimité des contrats de travail à durée déterminée, légalisation des agences de sous-traitance interne, réduction des garanties juridiques pour les femmes enceintes… La justification : « donner plus de liberté à l’homme d’affaire afin de débaucher et d’embaucher des employés pour rendre l’économie plus stable en période de crise », on en rit (jaune) déjà!
En France la gauche accélère ce que la droite avait commencé. En plus de faire une nouvelle guerre impérialiste au Mali, elle n’oublie pas que son rôle presque historique lorsqu’elle est au pouvoir consiste à faire l’ensemble des restructurations qu’il aurait été difficile de faire avec la droite au gouvernement. Ainsi, après les annonces médiatiques de prétendues négociations syndicats/patronat, un accord MEDEF / CFDT-CGC-CFTC (la CGT et FO sont contre pour l’instant)  sur la « sécurisation de l’emploi » a été validé début Janvier. L’axe principal étant de faciliter les licenciements et de limiter les procédures juridiques auxquelles ont droit les salariés dans cette situation (une flexibilité accrue en échange de quelques miettes autour du chômage garantit principalement par l’Etat). Ainsi le possible recours aux prud’hommes pour réclamer des salaires qui n’ont pas été payés passera de 5 ans à 24 mois. De plus, cet accord MEDEF-CFDT remet en cause, dans ses articles 25 et 26, la possibilité de se défendre dans ces mêmes prud’hommes. Ainsi, il est prévu une « indemnité forfaitaire (qui) vaut réparation de l’ensemble des préjudices liés à la rupture du contrat de travail, et son montant est fixé à : – entre 0 et 2 ans d’ancienneté : 2 mois de salaire / entre 2 et 8 ans d’ancienneté : 4 mois de salaire », alors que jusqu’à maintenant l’article L.1235-3 du code du travail garantissait une indemnisation, en cas de licenciement sans cause valable, qui ne pouvait être inférieure aux salaires des 6 derniers mois (plus diverses primes et dommages et intérêts supplémentaires…). Est aussi présente dans ce texte la généralisation des « accords de maintien de l’emploi ». Concrètement cela veut dire que si un salarié refuse une modification du contrat de travail suite à un tel accord (qui existe déjà dans certaines boîtes) «  la rupture de son contrat de travail qui en résulte s’analyse en un licenciement économique dont la cause réelle et sérieuse est attestée par l’accord précité. L’entreprise est exonérée de l’ensemble des obligations légales et conventionnelles qui auraient résulté d’un licenciement collectif pour motif économique. ». D’autres conneries sont aussi présentes, telle la mobilité interne obligatoire sous peine de licenciement économique… Et ces accords ne sont évidemment qu’un début. Ces premières demandes patronales étaient aussi un test pour voir la réaction en face. Nul doute que l’optimisme soit de mise. Parallèlement à cet accord, « le plan Ayrault sur la compétitivité » entend jouer sur la baisse du coût du travail principalement en diminuant de 20 milliards l’impôt sur les société (IS) et annonce déjà que pour pallier à cette rentrée  d’argent, la TVA passera de 19,4 % à 20 % au premier janvier 2014 6. Tout cela n’étant à coup sûr qu’un début, la fête va continuer très prochainement (et on tentera de suivre ça de très près).
En gros là où il y avait les fameux acquis sociaux, on les supprime, là où la situation était déjà tendue, ils creusent encore… C’est bien plus qu’une tendance qui s’est enclenchée. Peu de personnes peuvent encore imaginer une quelconque stabilité au sein du capitalisme. Qui des génération 80 et 90 peut encore espérer avoir une retraite un jour, un travail fixe ou même vivre avec autre chose qu’un RSA ? Notre absence d’avenir au sein du capitalisme est en quelque sorte la base du contenu des révoltes qui éclatent et vont éclater.

Lutte des classes, partout et tout le temps !

Les réponses du prolétariat sont nombreuses mais éparses et finalement peu intenses au regard de ce qui se passe. Le plus frappant étant peut-être la situation en Espagne où les coupes budgétaires ont eu des conséquences plus que désastreuses sur bon nombre de prolétaires. Plus d’un quart de la population est au chômage (+8 % en un an ! C’est à dire plus de 5 millions de personnes… et plus d’un jeune sur 2 !) et les allocations n’existent presque plus (plus d’1,5 millions de familles vivent sans aucune aide)… Face à cela les manifestations, rassemblements, sit-in, sont quotidiens dans bon nombre de villes espagnoles. Mais bien souvent, cela en reste là, n’arrivant pas à faire le deuil du mouvement des indignés et de sa non-violence, son démocratisme et son inter-classisme latent. Les grèves générales se cantonnent à 1 journée tous les 8 mois, sans suite. Peut-être la situation évoluera-t-elle rapidement, mais on peut quand même dire que face à ce que prend le prolétariat espagnol dans la tronche, sa réponse est pour l’instant loin d’être au même niveau.
L’austérité entraîne aussi l’émergence de mouvements là où la contestation et la lutte des classes étaient « timides » depuis longtemps. Ainsi a émergé en Slovénie au mois de novembre un mouvement porté par plusieurs dizaines de milliers de personnes autour de la situation économique du pays. Depuis la ville de Maribor, où des centainse de personnes dénonçaient la corruption connue du Maire (qui a fini par se faire jarter!), le mouvement s’est très vite étendu aux principales villes du pays. Ainsi en moins de 3 semaines, il y a eu 35 manifestations dans 18 villes 7. Le mouvement a très vite évolué, prenant davantage la forme d’une contestation de la situation économique et même du capitalisme pour certains… Des affrontements avec la police ont également éclaté dans bon nombre de ces rassemblements. Malheureusement, nous avons peu d’éléments sur la fin de ce mouvement et sur ce qui se passe là bas depuis. Mais l’apparition de ce genre rassemblement est tout de même révélateur de la situation actuelle, il n’y avait pas eu autant de gens dans les rues en Slovénie depuis plus de 20 ans !
Faire un panorama rapide de la situation en Grèce est très difficile tellement le niveau de la lutte des classes est élevé depuis les émeutes de 2008. Les prolos Grecs se tapent des plans d’austérité quasi tous les 6 mois depuis 2010 et crament des banques lors de manifestations monstres tous les 6 mois (on se rappelle tous de la journée du 12 février 2012 : plus de 500000 personnes étaient dans les rues rien qu’à Athènes,près de 60 bâtiments ont pris feu et les affrontements ont duré plusieurs jours…) en plus des grèves régulières dans des secteurs comme la santé, les transports, l’éducation ou des entreprises privées. Une analyse plus complète des répercussions de l’austérité sur la situation en Grèce serait nécessaire 8.
Ailleurs, l’austérité entraîne surtout des luttes de site ou de branches d’activité face aux fermetures d’entreprises.  En faire la liste serait trop long, mais pensons notamment à PSA ou GoodYear en France, ArcelorMittal en Belgique pour faire proche de nous…
Bien sûr, des personnes et des événements tentent de rassembler l’ensemble de ces mouvements. La seule tentative de réponse internationale fut pour l’instant la journée du 14 Novembre appelé par la Confédération européenne des syndicats (CES) 9 et par de multiples collectifs locaux. Évidemment, cette journée fut un échec (très prévisible) même si elle a donné lieu à des manifestations énormes en Espagne (accompagnées d’une grève générale très suivie mais sans lendemain) et importante en Italie et au Portugal et que des affrontements avec la police ont éclaté dans ces trois pays pour l’occasion.
Nous n’avons malheureusement pas de réponse à apporter à ce désert organisationnel. L’austérité est une affaire internationale, mais l’organisation de l’offensive révolutionnaire dépend énormément des particularismes territoriaux et du type d’acteurs qui s’y investit. Renouer avec le politique, c’est renouer avec l’organisation plus ou moins spontanée de visu, au sein d’un territoire matériel. La médiation par les organisations progressistes de masse ne donnera qu’une démonstration d’impuissance au mieux, une contestation balisée avec sens de la marche au pire … Aujourd’hui, il faut réfléchir aux conjonctions possibles et aux corrections probables, pour visualiser le hasard d’une prochaine temporalité offensive des prolos.

Question ouverte : que fait-on lorsque l’on a plus rien à défendre ?

crise

1) Voir édito « Dans le monde, une classe en lutte », Décembre 2012

2) Voir l’édito du numéro 1, lorsque nous listons quelques paramètres devant être analysés pour comprendre les différences de réaction des populations face aux plans d’austérité suivant les pays.

3) Journaliste portuguais dans une chronique cynique du 11 septembre 2012 dans Público. Disponible en Français à cette adresse :
http://www.courrierinternational.com/article/2012/09/14/moi-premier-ministre-je-tuerais-un-tiers-des-portugais

4) Pour des exemples concrets, voir les encarts par pays tout autour. Pour des listes plus complètes : www.tantquil.net

5) http://communisme-ouvrier.info/?Reaction-a-chaud-suite-a-l-accord

6) http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/11/06/20002-20121106ARTFIG00306-le-plan-du-gouvernement-pour-relancer-la-competitivite.php

7) Voir notamment la chronologie traduite sur le site très intéressant du laboratoire :
http://lelaboratoire.over-blog.com/article-un-hiver-de-revoltes-de-masse-en-slovenie-113816330.html. Source original :
http://www.a-federacija.org/

8) Voir notamment les sites : http://fr.contrainfo.espiv.net/ ou encore http://www.blaumachen.gr/

9) Sorte de regroupement européen de tous les syndicats réformistes, les fameux « partenaires sociaux ».

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