Bad Kids
Toulouse
La propriété, Cette cheville à fracturer
Categories: Le journal

Le communisme est un feu de joie qui fera de la propriété et de la marchandise un gros tas de cendres…  normalement.

« Un jour, un riche fit entrer Diogène dans sa maison splendidement meublée, et lui recommanda de ne pas cracher par terre. Sur quoi Diogène lui cracha au visage, en lui criant que c’était le seul endroit sale qu’on trouvait dans la maison .»
Diogène Laërce

La critique de la propriété privée portée par le mouvement révolutionnaire et ouvrier historique s’est souvent bornée à la remise en cause de la propriété privée des moyens de production, les usines et les machines. Le lien avec la propriété privée immobilière n’est pas toujours évident, la question du logement étant considérée au mieux comme un « sous-produit » de l’exploitation, donc secondaire. Ça c’est quand elle n’est pas cadrée par les associations humanistes& spécialisées dans le pleurnichage auprès des pouvoirs, qui l’abordent, elles, de manière complètement séparée de l’exploitation.
Certes la propriété privée des logements mis en location ne repose pas directement sur l’exploitation de la force de travail, et elle ne produit rien, par contre le logement est au même titre que l’accès au soin un élément nécessaire à la reproduction de la force de travail1 (qui pour le prolétaire consiste à dépenser une grosse partie de son salaire pour s’entretenir). « Avec mon salaire, ils se paient ma tête » écrivait Prévert. Cette reproduction de la force de travail n’est pas censée coûter quoi que ce soit aux capitalistes, c’est même l’inverse. Ce qui est produit dans ce sens, les logements par exemple, ne l’est que dans la mesure où cela peut leur profiter financièrement comme dans tout rapport marchand. Un logement mis en location enrichit le propriétaire qui récupère mensuellement la partie du salaire du locataire, versée sous la forme d’un loyer. La première des violences de la propriété immobilière, s’exprime par cette obligation de payer un loyer pour avoir un toit… Le prélèvement des loyers est un racket organisé par un panel diversifié de propriétaire2. Panel qui va du petit rentier aux sociétés immobilières en passant par les bailleurs sociaux (comme par exemple les sociétés HLM) ou encore toutes sortes de marchands de sommeil. On peut toujours penser que dans tout ça il existe des propriétaires pires que d’autres, mais ça ne rend pas la propriété privée et le rapport économique propriétaire/locataire plus acceptables.
Hausse des prix, pénuries et spéculation, tout comme pour les denrées alimentaires, les exemples ne manquent pas pour illustrer à quel point les propriétaires, comme les autres accapareurs,  possèdent un peu plus qu’un bien immobilier mais un pan important de la vie quotidienne des gens qui habitent dedans. Le logement, de son processus de production (construction) à sa mise en circulation (vente ou location) répond à la même logique que toutes les marchandises indispensables telles que les produits de première nécessité, autour desquels se manifeste une tension permanente, indissociable de la lutte des classes, entre les possédants et les accapareurs d’un côté, et les pauvres et le prolétariat de l’autre.
Face à cela, la question du mal-logement ne peut souvent être posée que sous l’angle d’un « problème » à résoudre en urgence. Même si bien des squats militants pointent du doigt la spéculation immobilière et le nombre considérable de logements vides pour justifier leur démarche, la question de la propriété privée immobilière n’est soulevée qu’implicitement, tout en étant malgré tout attaquée pratiquement, notamment par la réappropriation gratuite (voir article sur les réquisitions directes). Le problème reste le même que pour beaucoup de revendications immédiates. « Dans une telle société, la crise du logement n’est pas un hasard, c’est une institution nécessaire ; elle ne peut être éliminée ainsi que ses répercussions sur la santé, etc., que si l’ordre social tout entier dont elle découle est transformé de fond en comble » (Engels, La question du logement, 1872).
Mais la possibilité de dépasser ces limites passe par identifier les racines de ces « problèmes » , principalement la propriété privée, pour orienter nos résistances et l’attaquer au cœur. Notre approche théorico-pratique de la guerre sociale impose de partir de la réalité vécue, à savoir comment le capitalisme manifeste sa violence dans notre vie quotidienne. Et la question du logement est surtout pour les capitalistes, par le biais de la propriété privée, un angle d’attaques sur nos conditions de vie. A partir de là, il nous est impossible d’éviter la confrontation avec la propriété et les propriétaires qu’on retrouve, en collaboration avec les flics et la justice, derrière chaque expulsion responsables des expulsions (de squatteurs comme de locataires).
La propriété est une cheville autour de laquelle tourne le monde capitaliste. Ce n’est pas un hasard si la protection et la défense de la propriété privée est une des caractéristiques fondamentales du droit, et que la justice de classe s’occupe quotidiennement de condamner celles et ceux qui s’y attaquent.

Locataire ou propriétaire à crédit, tu restes un prolétaire !  
ou « prolétaire, tu n’auras jamais cette maison »

« On résistera jusqu’à ce que l’huissier s’en aille, après avoir prononcé un renvoi. Un renvoi qui ne résout certainement pas le problème définitivement : d’ici quelques mois, nous devrons de nouveau être dans la rue pour empêcher l’expulsion. Mais avoir trouvé le courage et la force de résister aux propriétaires est le seul moyen que nous avons pour commencer à dire que la maison est à ceux qui l’habitent, et non aux propriétaires. 
La casa è di chi l’abita ! (Turin, 2011).

Temps de crise oblige, l’accès à la propriété, qui était donc considéré comme une forme de privilège doit, pour les capitalistes et l’État, s’étendre aujourd’hui à un maximum de gens. La vieille idée de Proudhon a traversé le temps. Si elle ne remettait déjà en rien en cause l’ordre social à l’époque, aujourd’hui elle trouve une nouvelle jeunesse dans les projets de relance économique que les capitalistes ont pour le secteur de l’immobilier en berne depuis 2011. C’est même un programme politique, souvenons-nous de cette « France de propriétaires » voulue par Sarkozy, que la gauche actuelle ne fait pas autre chose que reprendre. C’est dans l’air du temps en somme. L’accès à la propriété est une des réponses capitalistes à la crise. L’hypothèse d’une relance à court terme. La France étant un pays avec une plus grosse proportion de locataires (42%) qu’ailleurs en Europe, les économistes et les professionnels de l’immobilier y voient un marché.
Cette différence avec les pays de propriétaires en Europe vient notamment du fait que les crédits immobiliers n’ont pas été généralisés, et qu’ils n’étaient accessibles qu’aux franges les plus stables du prolétariat, comme par exemple les fonctionnaires, à qui prêter de l’argent représente une prise de risque minimum pour les banques.
Beaucoup de prolos peuvent être tentés par ce projet politique vendu comme la garantie d’une vie réussie… Alors, histoire d’aller jusqu’au trognon, divers dispositifs ou formules sont mis en place pour étendre la propriété aux plus pauvres, ce qui passe plus précisément par une extension de l’accès au crédit immobilier. Cela dans le but de vendre ces logements neufs qui ont tant de mal à trouver preneur. En vérité, et à titre de comparaison, que des pauvres accèdent en masse à la propriété de leur logement ne réglera évidemment pas plus la question du mal-logement que l’auto-entrepreneuriat ne réglera celle du chômage. Le projet des capitalistes n’est évidemment pas de faire plaisir aux gens, mais de relancer l’activité économique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces formules ne portent que sur les logements neufs. Ces logements qui se vendent moins ou presque plus et qui sont le principal enjeu commercial3 de ce pari de relance. Vendre du neuf implique qu’il vient d’être construit, donc que le secteur du BTP n’est pas en rade et qu’il a des commandes. Car la crise de l’immobilier a évidemment des répercussions automatiques sur le BTP4. C’est aussi pour permettre au BTP de « travailler » qu’il faut parfois détruire, pour reconstruire derrière, même si ça peut paraître absurde.
Pour cela, l’État en collaboration avec les banques et les bailleurs sociaux valorisent des formules présentées comme avantageuses et réservées à des prolétaires qui ne pouvaient jusque-là pas prétendre à l’accès à la propriété. Les bailleurs sociaux proposent par exemple leurs logements neufs à la « location-accession », ce qui offre la possibilité aux personnes qui répondent aux critères de faibles revenus, de devenir propriétaires de leur logement s’ils le désirent après un certain temps de location. Cette idée n’est pas toute nouvelle (la location-accession existe en réalité depuis les années 80), elle a simplement plus la cote en ce moment. Les banques, elles, ont mis en place un crédit immobilier destiné tout spécialement aux pauvres : le prêt à l’accession sociale (PAS). Cela s’appuie sur le calcul pas du tout idiot fait par ces milliers de candidats à la propriété qui se disent « quitte à payer un loyer toute ma vie, autant qu’au bout d’un moment mon logement soit à moi ». Les banques et les bailleurs sociaux exploitent ce désir de propriété duquel une frange importante du prolétariat avait jusque-là toujours été exclue. Mais pas besoin d’être un spécialiste en rapports sociaux pour comprendre que ce type de projet n’est pas du tout gagnant-gagnant, et qu’il n’a d’intérêt que pour les capitalistes. Et puis, en règle générale, il vaut mieux se méfier des bonnes idées que les capitalistes ont pour nous. Sans compter en plus que l’accession à la propriété est pour l’ordre social un outil de pacification dans la guerre aux pauvres quotidienne! En nous vendant l’accès à la propriété, les banques nous promettent surtout les entraves de l’endettement. Une manière d’étrangler individuellement les nombreuses personnes qui vont solliciter ces crédits que les banques envisagent de délivrer à la pelle, devenant les propriétaires de substitution, des sortes de maquereaux légaux qui relèveront les compteurs mensuellement.
Ces « bonnes idées » ne viennent jamais seules. Les constructions de ces logements neufs accessibles aux pauvres, sont aussi un moyen de les reléguer encore un peu plus en périphérie éloignée. De nombreuses personnes ont déjà accepté ce deal, s’éloigner des villes pour devenir propriétaire de sa maison, souvent en kit ou en matériaux bon marché (mais ça c’est encore autre chose). Les transformations, nommées « rénovations urbaines » des quartiers populaires, ne sont jamais sans conséquences sur les gens qui y habitent et surtout ne sont pas politiquement innocentes. La gentrification  (expulser plus ou moins progressivement les habitants d’un quartier pauvre en les remplaçant après des rénovations x ou y par des populations plus riches et transformer ainsi le quartier) présente une multitude d’intérêts économiques et commerciaux. De toute évidence, comme toutes les guerres, la guerre aux pauvres rapporte à la bourgeoisie5.

En bref, se dresse devant nous une machine de guerre qui semble bien huilée, où d’un point de vue économique la tache est de gagner l’adhésion des pauvres en leur offrant un mirage d’ascension sociale. Faire miroiter est l’apanage de tous les marchands, et les professionnels de l’immobilier en sont des gros !!

 

Notes
1- C’est ainsi qu’un théoricien anarchiste comme Proudhon a pu défendre, comme réponse à la misère ouvrière, l’accès à la propriété comme moyen d’émancipation du prolétariat, au motif qu’il s’agissait d’un gain d’indépendance vis à vis de l’État et des propriétaires (Qu’est-ce que la propriété ? 1840).  Il défendait l’idée qu’un propriétaire est au locataire ce que le patron et à l’ouvrier. C’est complètement dans cette logique d’ailleurs que Proudhon avait aussi fondé une éphémère banque du peuple censée prêter de l’argent à taux zéro.

2 – Bien sûr ça arrive aussi que des très riches louent des logements à d’autres très riches, mais ce n’est déjà pas ultra courant, et même si ça l’était, on s’en fout un peu de leur cas particulier.

3-  Parallèlement à ça, d’autres dispositifs sont mis en place pour vendre du neuf aux riches qui veulent mettre en location.  Ainsi de la toute récente loi Duflot qui derrière une mesure sociale de plafonnement des loyers offre aux propriétaires des réductions d’impôts. Faire des gestes ridicules en direction des pauvres, tout en préservant l’enrichissement des riches, l’orientation des réformes de la gauche tient dans ce faux numéro d’équilibriste. Aucun gouvernement ne s’en prendra jamais à la propriété et donc au clivage social qui en découle.

4- La chute des ventes de logements neufs a entraîné une baisse du nombre de constructions qui s’est traduite par la suppression de 14 500 emplois dans le secteur du bâtiment en 2012.

5- Quasiment toutes les métropoles françaises ont des projets de rénovations urbaines en cours. A Toulouse., une série de « Grands Projets de Ville », dont on reparlera très vite dans Bad Kids, sont prévus pour modifier significativement certains quartiers. Le plus importants de ces GPV porte sur la transformation de quartiers populaires comme ceux d’Empalot ou de la Reynerie. Il est évident que ces projets auront des répercussions sur les habitants historiques de ces quartiers, et ce même quand il s’agit d’introduire de la « mixité sociale » (gentrification intermédiaire ou inaboutie) comme c’est le cas dans certains GPV à Toulouse. A suivre…

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