Bad Kids
Toulouse
Retraites, qu’est-ce qu’il y a au bout des réformes ?
Categories: Ressources

Article repris sur le site Tant qu’il y aura de l’argent…

Encore une réforme des retraites, la 5ème en 20 ans. Quand aura-t-on la retraite ? Est-ce-qu’on en aura une ? Mais pourquoi est-ce que les patrons et les gouvernants nous détestent tant ? L’objet de cet article n’est pas de détailler la nouvelle réforme des retraites mais plutôt de voir au delà. Une chose est claire : cette réforme n’est qu’un jalon sur le chemin qui mène a la destruction du régime des retraites, et plus globalement à l’aggravation de nos conditions de vie. En avant pour les réjouissances…

Commençons par un bref historique de ces réformes. Elles commencent en 1991 avec l’écriture d’un « livre blanc » sur les retraites, commandé par la gauche (Michel Rocard)… Et suivent une trajectoire bien précise, qu’on peut résumer par la formule de « tactique du salami » : au lieu de s’attaquer de manière frontale à une situation, on va plutôt la découper en tranches. Avec les retraites, ça donne :

1993 : Réforme Balladur :

– La durée de cotisation pour avoir le droit à une retraite à taux plein est repoussée à 40 ans dans le privé, contre 37,5 auparavant. Soit 2 ans et demi de travail en plus.

– Le salaire moyen de référence, base du montant des retraites est calculé sur les 25 meilleures années et non plus sur les 10 meilleures, ce qui veut dire une perte sèche de fric…

– Enfin, la revalorisation de la pension se fait à partir de l’évolution des prix et non plus à partir de l’évolution générale des salaires, ce qui, là aussi, signifie une perte de pognon.

1995 : Tentative de réforme des retraites du public sous Juppé.

L’objectif était d’appliquer les réformes Balladur au secteur public en ce qui concerne les retraites. D’autres mesures étaient prévues pour sabrer dans les dépenses destinées à ces assistés de prolos…

Mais à l’issue d’une mobilisation de plus d’un mois, avec près de 3 semaines de grève dans les transports par exemple, le gouvernement recule. Ce n’est que partie remise, mais ça marque profondément la période, et tout le cycle de lutte qui suit (dont on vous parlera plus en détail).

2003 Première loi Fillon de réforme des retraites. On y trouve un bon paquet de mesures :

– La reprise du plan Juppé, qui cette fois-ci passe. La durée de cotise augmente donc à 40 piges dans le public, avec une application échelonnée entre 2004 et 2008. Le tout au nom de l’égalité avec le privé. Allez, tout le monde privé de dessert, c’est ça l’égalité.

– Dans la foulée, allongement global de la durée de cotisation, qui passe de 40 à 41 ans, le tout échelonné de 2009 à 2012 : décidément, pas le temps de souffler. Le gouvernement parle déjà de l’allongement de la durée de vie. A priori on déconne ferme à pas vouloir mourir avant 65 ans.

– Fillon crée un mécanisme dit de « décote » qui instaure une pénalité en cas de cotises incomplètes. Ainsi, si on a pas assez de cotises, il faudra bosser jusqu’à minimum 65 piges pour avoir une retraite « à taux plein ». Premières touchées : les femmes, souvent précaires et à temps partiel.

2008 : Réforme des « régimes spéciaux ». Le gouvernement Fillon termine le boulot de Balladur, cette fois-ci pour les fonctionnaires des établissements publics à caractère industriel et commercial (EDF, GDF, SNCF, RATP, Banque de France, Opéra national de Paris, Comédie française).

2010 : Deuxième réforme Fillon. Les deux principales mesures sont :

– Le passage progressif de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, à coups de quatre mois par an, à partir de 2011.

– Le relèvement progressif de 65 à 67 ans, à partir de 2016, de l’âge à partir duquel ne s’applique plus la décote (voir plus haut).

Et ça continue en 2013…

Ou, sans rentrer dans les détails, le plan gouvernemental prévoit un allongement de la durée de cotises d’un trimestre supplémentaire tous les trois ans jusqu’en 2035. Les générations nées à partir de 1973 devront cotiser ainsi 43 anspour bénéficier d’une pension à taux plein…

Depuis 20 ans, la retraite est un enjeu central de la lutte des classes en France et en Europe. Car dans la période actuelle du capitalisme, les patrons n’ont d’autre choix que de nous mettre à la diète, toujours plus, pour tenter de maintenir autant que possible leur taux de profit. « Vous nous coûtez trop cher », qu’ils n’arrêtent pas de répéter, en oubliant à peine que sans nous ils ne produisent et ne vendent rien. Tout l’enjeu, c’est donc le salaire. Il s’agit de le baisser, le baisser, et encore le baisser. Réduire le coût du travail, comme ils disent. Et ils ne sont pas près de se calmer, suffit de jeter un coup d’œil sur le reste de l’Europe.

Sauf qu’en France, le mouvement de 1995 a bloqué les réformes sur la retraite et la sécu, pendant près de 10 piges dans le public ! Que ça a provoqué la naissance, ou le renforcement, de nombreux syndicats, et structures de types syndicales. Sans compter que la combativité dans les luttes, en 2003, 2006 (CPE) ou 2010, a sûrement poussé à calmer les ardeurs de nos maîtres… Les réformes sont passées depuis, mais le capital a tout de même dû s’adapter à la donne. Du coup, la consommation française a été beaucoup moins attaquée qu’ailleurs, ce qui explique pas mal de choses dans la manière dont la France est touchée par la crise aujourd’hui.

Et aujourd’hui, la consommation des prolos en France fait partie de ce qui fait tenir la croissance européenne. Alors, comment croire que l’état puisse baisser encore le salaire indirect (une année de cotisation en plus ! Gratos !) sans que ça fragilise cette même relance de l’économie dont les gouvernants nous rabattent les oreilles ? La nouvelle réforme ferait monter à 43 annuités les retraités de la génération des années 70. Soyons honnêtes, dans quel monde imaginaire allons-nous réunir 43 annuités, nous qui alternons contrats précaires et vaches maigres, au chômage ou au RSA, souvent plusieurs fois dans l’année ?

Cette réforme ne sera pas la dernière. Elle n’est pas une réaction à « l’augmentation de l’espérance de vie des français », ou dieu sait quel argument rabâché. C’est la tendance de notre époque : l’écrasement des prolos, perçus par les patrons comme les véritables poules aux œufs d’or.

Et comme dans la fable, on arrive doucement au moment où les capitalistes ne se contentent plus des œufs, mais veulent bouffer la poule. C’est que le capitalisme est un système pleins de contradictions. Il est parfois obligé de pousser aujourd’hui, à ce qui risquera de le foutre en l’air demain. Avec ces réformes d’austérité, dont les retraites, on est en plein dedans : il s’agit de défoncer l’un des principaux mécanismes qui a limité l’impact de la crise sur les salariés : les retraites, et ce qu’elle permettent de solidarité intergénérationnelle.

C’est comme ça dans toute l’Europe.

– En Allemagne, où un retraité sur deux vit avec une pension de moins de 700€, on parle de faire passer l’âge de la retraite à 69 ans. La loi permet bien de partir à la retraite dès 35 annuités… à condition de perdre 7% du revenu, sur la base des annuités déjà payées !

– En Angleterre, malgré trois grosses séries de grèves et de mobilisations, on passerait à terme à un départ à 68 ans, dans un pays où on « peut » travailler jusqu’à 70 ans.

– En Italie, la situation est dramatique pour pas mal de préretraités : une loi leur permettait, en accord avec l’entreprise, un licenciement à l’amiable, deux ou trois ans avant la retraite, en échange d’une aide d’état. Mais les réformes de « super Mario » Monti mettent désormais la barre du chômage à 67 ans pour 2020… Sans maintenir les aides. Et ceux qu’on appelle les « esodati » se sont fait enfler en beauté. 

Bref, il suffit de voir ce qui se passe ailleurs : des réformes, il y en aura d’autres en France, comme il y en a déjà d’autres de programmées dans les autres pays. Et particulièrement chez ceux où le processus d’austérité est le plus avancé.
Par exemple, l’âge légal de départ à la retraite est annoncé à 67 ans chez nos voisins espagnols d’ici 2020.

Et en Espagne, on en a bien besoin des revenus des retraités : dans 1,8 millions de foyers, il n’y a pas de travailleur fixe. Une question, comment feraient ils sans les revenus des vieux ?

En somme les États scient une des dernières branches qui nous fait consommer : les retraites et épargnes héritées de la période faste du capitalisme européen. Sans compter les retombées en travaux domestiques en plus, de toutes sortes…

L’avenir dans la gestion de la crise, de droite, de gauche ou du centre, c’est la misère. Les perspectives sur le plus long terme, ne sont pas, pour les prolétaires, de toucher la retraite à taux plein plus tard : tout indique qu’il s’agit juste de baisser la retraite de tout le monde… Et faire en sorte que les pauvres ne puissent jamais partir avec plus qu’une demi-retraite.

A plus long terme, on peut imaginer que, de la même façon que le RSA est devenu la norme pour pas mal de gens, l’allocation-vieillesse le devienne pour tous. Son nom complet, c’est Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). C’est max 787 €/mois donc un peu plus que le RSA.

Avec un petit détail tout de même : l’allocation vieillesse est un crédit que fait l’état : il est remboursable par les successeurs, prélevé sur l’ héritage. (Avec un plancher de 39 000 euros, merci qui ?) Ainsi, la bicoque de papy, le seul bien qu’il lègue à ses gosses… Confisqué !

En conclusion, nous le voyons bien : toutes ces mesures, en participant à baisser radicalement la consommation, ne feront qu’empirer la crise demain. C’est que contrairement à ce que croient les « complotistes » et autres théoriciens des stratégies du pouvoir-secret-qui-a-déjà-tout-prévu, les patrons nous montrent tous les jours que s’ils sont en effet déterminés à nous sabrer, ils ne savent en revanche pas du tout où ils vont, quelles seront les conséquences de toutes ces réformes.

De notre côté, nous pouvons tirer au moins un enseignement de la période actuelle : le cycle de lutte, en France, qui s’est ouvert avec la victoire du mouvement contre le plan Juppé en 1995, s’est bel et bien terminé avec la défaite du mouvement d’automne 2010. Et si nous ne savons pas de quoi demain sera fait, nous savons une chose : dans la période qui s’ouvre, il n’y aura pas de demi-victoire possible, de coup d’arrêt provisoire. C’est le capitalisme ou nous.

Et comme dans un bon vieux Rocky, le capitalisme a beau cogner et cogner, à la fin, c’est pas dit qu’il l’emporte.

Tags:

Comments are closed.