Petit recensement de traductions fait par des sites amis sur la situation Ukrainienne…
Interview de l’Action Antifasciste Ukraine
trouvé sur http://aaa12.noblogs.org/post/2014/02/20/interview-de-laction-antifasciste-ukraine/
Sascha, Andrei et Mira sont membres de l’Union Antifasciste Ukrainienne, un groupe qui surveille et combat le fascisme en Ukraine.
Nous nous sommes assis pour parler de l’influence du fascisme sur EuroMaidan, voilà ce qu’ils m’ont dit :
Sascha : Il y a beaucoup de Nationalistes ici, dont des Nazis. Ils viennent de toute l’Ukraine, et ils représentent environ 30% des manifestants.
Mira : Les deux plus gros groupes sont Svoboda et Pravy Sektor (Secteur Droite). Les forces de défense ne sont pas à 100% du Pravy mais beaucoup le sont.
S : Svoboda est un groupe légal, mais ils ont aussi une faction illégale. Pravy Sektor est plus illégal, mais ils veulent prendre la place de Svoboda.
M : Il y a beaucoup de querelles entre Pravy et Svoboda. Ils ont travaillé ensemble pendant les violences, mais maintenant que tout est calme ils ont le temps de se focaliser les uns sur les autres. Pravy et Svoboda reçoivent tous les deux des dons et ils ont beaucoup d’argent.
Pravy a récemment eu de tout nouveaux uniformes, des treillis militaires. L’une des pires choses est que Pravy a sa structure officielle. Ils sont coordonnés. Tu as besoin de laissez-passer pour aller sur certaines places. Ils ont le pouvoir de donner ou de ne pas donner la permission aux gens d’être actifs. Nous essayons d’être actifs mais nous devons éviter les nazis, et je ne vais pas demander la permission à des Nazis !
S : Un groupe de 100 anarchistes a essayé d’organiser leur propre groupe d’autodéfense, différents groupes anarchistes sont venu ensemble pour un meeting sur le Maidan. Pendant qu’ils faisaient leur meeting, un groupe de Nazis est arrivé en plus grand nombre, ils avaient des haches, des battes de baseball, des bâtons et des casques, ils ont dit que c’était leur territoire. Ils ont appelé les anarchistes « juifs », « noirs », « communistes ». Ils n’étaient même pas communistes, c’était juste une insulte. Les anarchistes ne s’attendaient pas à ça et ils sont parti. Les gens qui ont des visions politiques différentes ne peuvent pas rester sur certaines places, ils ne sont pas tolérés.
M : Plus tôt, une tente Stalinienne a été attaqué par des Nazis. Une personne a été envoyée à l’hôpital. Un autre étudiant a dénoncé le fascisme et il a été attaqué. Pravy Sektor a beaucoup attiré l’attention après les premières violences, les médias leur ont donné de la popularité et ils ont commencé à croire qu’ils étaient des gars cool. Pravy existait déjà avant, mais maintenant ils grandissent et ils attirent beaucoup de nouvelles personnes.
S : Après ça Pravy a recruté beaucoup de jeunes gens. Ils ont de l’argent pour faire de la propagande, des uniformes, ils attirent l’attention et ils ont l’aire cool.
Un groupe de jeunes hommes qui ont récemment rejoint la Milice de Défense.
M : L’Ukraine est un pays patriarcal alors être un homme fort qui combat est une bonne chose.
S : Les groupes nazis essayent également d’imiter les gauchistes, d’essayer de les intégrer. Ils utilisent un vocabulaire anarchiste, des mots comme « autonomes ». C’est ce qu’est en train de faire l’un des plus affreux groupe Nazi en s’appelant « Résistance Autonome ». Ils ont beaucoup de succès avec cette tactique. Ils attirent quelques anarchistes qui pensent qu’ils font changer les nazis, alors qu’en vérité c’est les nazis qui sont en train de les changer. Ils deviennent plus nationalistes, ils ont des visions plus antiféministes, etc. C’est maintenant que les anarchistes doivent s’exprimer et se faire entendre.
Deux symboles que l’on peut retrouver à EuroMaidan. La croix celtique (en haut) est un symbole commun qui représente la suprématie blanche. La Wolfsangel (en bas) était un symbole utilisé par différentes divisions SS pendant la seconde guerre mondiale et représente maintenant le Néonazisme:
S : Tout l’éventail nationaliste est représenté. Ils se divisent entre groupes qui ont leurs propres symboles. Ils veulent du soutient alors ils n’utilisent pas tant de symboles Nazis ou fascistes que ça. Ils utilisent des symboles reconnaissables par d’autres fascistes, mais qui sont inconnus pour les autres gens. Par exemple il y a le symbole d’un aigle spéciale. Il est dessiné de telle manière qu’il ne ressemble à rien à moins que tu connaisses la signification.
Personnes n’a idée de comment les choses vont tourner, quelle forme va prendre le nouveau gouvernement. Les groupes fascistes n’ont pas de but communs, ils savent à quoi ils sont opposés, et qu’ils sont opposés les uns aux autres, mais ils ne veulent pas tous la même chose. Si Pravy a une place dans un nouveau gouvernement, ce serait vraiment dangereux, mais c’est impossible, ils ne sont pas assez puissants pour ça.
M : Les gens chantent ces slogans : « Gloire à l’Ukraine », « Gloire aux Héros », « Mort aux ennemis ». Mais qui sont ces héros, qui sont ces ennemis ? Je pense qu’ils n’en ont pas idée. « L’Ukraine avant tout » en est un autre, comme ils chantent en Allemagne.
Andrei : Je viens d’Allemagne et je pense que le nationalisme en Ukraine date de la chute de l’URSS. Le sentiment nationaliste à Maidan est là pour diviser les gens. L’Est de l’Ukraine est pro Russe, l’Ouest est nationaliste.
Les gens sont plutôt divisés, mais si tu regardes le pays tout entier, tout le monde a les mêmes problèmes sociaux et économiques. Si les gens s’en rendaient compte et venaient ensemble, ce serait le plus gros danger pour Svoboda, ou Yanukovich, ou n’importe quel parti politique. Svoboda et Yanukovich défendent la même politique néolibérale qui empire la vie des ukrainiens.
M : Ces nationalistes sont là non pas pour défendre leurs droits mais pour défendre la nation, et c’est pratique pour les leaders d’encourager ça, parce que pendant que les gens se concentrent sur des questions nationalistes, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Il y a surtout des ouvriers et des pauvres à EuroMaidan, et il faut détourner leur attention des problèmes réels. Beaucoup de gens veulent manipuler les gens ici…”
Un symbole accroché à une tente à EuroMaidan : « Ultra-Radical Pacifist »
Traduit par des camarades depuis ce site.
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Déclaration sur la situation en Ukraine du Syndicat autonome des travailleurs (anarcho-syndicaliste)
Trouvé sur http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1484
« La guerre civile a commencé hier en Ukraine ». C’est ainsi que commence cette déclaration de camarades de Kiev en date du 19 février.
A la suite, nous publions une précédente déclaration ainsi qu’une interview d’un militant de ce même mouvement.
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Le 19 février, Kiev
La guerre civile a commencé hier en Ukraine. Une manifestation loin d’être pacifique s’est affrontée aux forces de défense de l’État et aux unités formées par les partisans de l’actuel gouvernement, près du Vekhovna Rada (Parlement). Le 18 février, la police, ainsi que les paramilitaires, ont commis un bain de sang dans les quartiers gouvernementaux au cours duquel de nombreux manifestants ont été tués. Les bouchers des unités spéciales ont battu les détenus. Les députés du Parti des Régions et leurs laquais de la bourgeoisie du Parti ‟Communiste” de l’Ukraine ont fui le Parlement par un tunnel souterrain. Le vote des amendements constitutionnels, destinés à limiter le pouvoir présidentiel, n’a donc pas eu lieu.
Après leur défaite dans les quartiers gouvernementaux, les manifestants se replièrent sur le Maidan [place de l’Indépendance]. À 18 heures, le ministère de l’Intérieur et le Bureau de la sécurité intérieure (SBU) ont lancé un ultimatum aux manifestants, exigeant leur dispersion. A 20h00, les unités de la police spéciale et les forces paramilitaires, équipées de canons à eau et de véhicules blindés, se sont lancées à l’assaut des barricades. Les commandos de la police politique (SBU), ainsi que les troupes pro-gouvernementales ont fait usage de leurs armes à feu. Cependant, les manifestants ont réussi à brûler l’un des véhicules blindés de la police, et il s’est avéré que les forces gouvernementales n’étaient pas les seules en possession d’armes à feu. Selon les données publiées par la police (le 19 février, 16h00), 24 personnes ont été tuées : 14 manifestants et 10 policiers. Trente et un policiers ont été blessés par balle. Même si leur estimation des pertes du côté de la police est exacte, le nombre de victimes parmi les manifestants a été certainement sous-évalué. Les médecins du Maidan citent au moins 30 tués.
On a l’impression que le président Ianoukovitch était certain que la résistance serait écrasée dès le matin, et pour cela, il a invité les dirigeants de l’opposition à le rencontrer pour des négociations à 11 heures le 19 février. Comme les négociations n’ont pas eu lieu, nous pouvons en conclure que le plan du gouvernement a échoué. Pendant que les autorités échouaient à dégager le Maidan, les habitants de plusieurs régions de l’Ouest du pays ont occupé des bâtiments administratifs et chassé la police. En ce moment, la police, en tant qu’institution, a cessé d’exister dans la ville de Lviv. Selon le SBU, les manifestants se sont emparés de 1 500 armes à feu. En moins de 24 heures, le gouvernement central a perdu le contrôle d’une partie du pays. À l’heure actuelle, la démission du Président peut être la seule solution mais cela voudrait dire que lui, sa famille, ses multiples acolytes et sa clientèle, qui forment un groupe assez important dans le parti au pouvoir et l’appareil d’État, perdraient leur source de profits. Il est probable qu’ils ne l’accepteront pas.
La victoire de Ianoukovitch signifierait qu’il devient un dirigeant à vie et que le reste du pays sera voué à une vie de pauvreté, de corruption et de la suppression de leurs droits et libertés. Les régions rebelles connaissent maintenant des restaurations massives de ‟l’ordre constitutionnel”. Il est probable que l’éradication de ces ‟groupes terroristes” en Galicie prendra le caractère d’une purification ethnique. Les Radicaux orthodoxes fous du Parti des Régions considèrent, depuis longtemps, les conservateurs Gréco-catholiques comme des aides de l’‟Euro-Sodom”. Une telle opération ‟antiterroriste” serait effectuée avec l’aide de l’armée, comme le ministre de la défense, Lebedev, l’a déjà annoncé.
Aujourd’hui, l’Ukraine vit une tragédie, mais la véritable horreur commencera lorsque le gouvernement aura brisé l’opposition et ‟stabilisée” la situation. Les signes de la préparation d’une opération de nettoyage de masse se sont fait sentir dès le début février. La veille, le bureau du procureur a ouvert une procédure pénale contre 4 unités d’auto-défense de Maidan en tant que formations militaires illégales. Conformément à l’article 260 du Code pénal, les membres de ces unités peuvent encourir un emprisonnement de 2 à 15 ans. Cela signifie que le gouvernement avait l’intention de mettre plus de 10 mille citoyens derrière les barreaux. Dans les régions, ainsi que dans la capitale, n’agissent pas seulement les forces paramilitaires spéciales habituelles mais aussi des ‟escadrons de la mort” en renfort. Par exemple, la responsabilité d’avoir brûlé vif un activiste du Maidan de Zaporozhye a été revendiquée par une ‟division de la mort”, qui se fait appeler ‟Les fantômes de Sébastopol”. Ils ont annoncé qu’ils étaient prêts à faire subir un traitement similaire aux participants des Maidan de l’Est.
Dans le cas d’une victoire de l’opposition, la vie sera loin d’être rose non plus. Les fascistes constituent une minorité des manifestants, ils sont très actifs et pas très intelligents. Les quelques jours de trêve de la mi-février ont entraîné des conflits entre les groupes de droite, qui se sont traduits par plusieurs flambées de violences insensées, ainsi que les attaques contre des ‟hérétiques” idéologiques. Outre les fascistes, l’ancienne opposition expérimentée tentera également de prendre le pouvoir. Beaucoup d’entre eux ont déjà une certaine expérience de travail gouvernemental et ils ne sont pas étrangers à la corruption, au favoritisme et à l’utilisation des fonds budgétaires à des fins personnelles.
Les ‟concessions” qu’exige l’opposition au Parlement en ce moment sont pitoyables. Même la Constitution de 2004, qu’elle cherche à restaurer, donne trop de pouvoir au Président (le contrôle de la police anti-émeute et des forces spéciales en est un exemple), et le système électoral à la proportionnelle, avec des listes fermées, place le Parlement sur le contrôle d’un groupe de dirigeants semblables à des dictateurs, qui peuvent se compter sur les doigts d’une main. Avec le Président, ils pourront régner sans obstructions.
Leur deuxième demande – la nomination d’un Conseil des ministres composé de leaders de l’opposition – est tout à fait honteuse. Est-ce que les gens sont en train de risquer leur santé, leur liberté et leur vie pour que quelqu’un devienne Premier ministre, et qu’un autre parvienne à contrôler les flux de l’argent de la corruption ? C’est là le résultat logique de préférer les conversations gonflées de pathos sur ‟la nation”, et se focaliser sur les structures verticales liées à ces mêmes politiciens haïs, au lieu de développer des mouvements populaires de base auto-organisés autour de la défense d’intérêts matériels. Telle est la leçon principale que Maidan a encore à apprendre.
Cependant, nous serons en mesure de mettre cette leçon en pratique que si le gouvernement actuel perd la bataille.
L’opposition à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement est divisée en de multiples factions hostiles et rivales. S’il gagne, le régime qui suivra sera instable et manquera de cohérence. Il sera aussi bourgeois et répressif que le Parti des Régions avant leur première démonstration de force contre les manifestants en novembre dernier.
La culpabilité pour le sang versé est pour partie celle de l’UE qui accepte volontiers de recevoir l’argent des salauds corrompus d’Ukraine, de Russie et de plusieurs pays africains, tout en négligeant de vérifier l’origine de ces ‟investissements”. C’est seulement après avoir vu les cadavres des victimes de ces ‟ investisseurs”, qu’ils deviennent si sentimentaux et si emplis pathos humanitaire.
Ce n’est pas notre guerre, mais la victoire du gouvernement signifiera la défaite des travailleurs. La victoire de l’opposition ne promet rien de bon non plus. Nous ne pouvons pas appeler le prolétariat à se sacrifier pour le bien de l’opposition et de ses intérêts. Nous pensons que l’ampleur de la participation à ce conflit est une question de choix personnel. Cependant, nous vous encourageons tous à éviter d’être enrôlés dans les forces militaires internes contrôlées par Ianoukovitch et à saboter par tous les moyens disponibles les actions du gouvernement.
Ni dieux, ni maîtres, ni nations, ni frontières !
Organisation de la ville de Kiev du Syndicat autonome des travailleurs.
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Traduction : XYZ / OCLibertaire
Source : ici http://avtonomia.net/2014/02/19/zay…
Documents complémentaires (antérieurs au 19 février)
- une déclaration du SAT en date du 23 janvier 2014
- une interview d’un camarade du SAT en date du 28 janvier 2014
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Lettre du Syndicat autonome des travailleurs de Kiev (anarcho-syndicaliste)
Déclaration sur la situation politique actuelle
Le 23 janvier 2014
Les lois qui ont été adoptées le 16 janvier ont montré que la faction de la classe dirigeante qui contrôle aujourd’hui le gouvernement est prête à installer une dictature bourgeoise réactionnaire sur le modèle des régimes latino-américains des années 1970. Les ‟lois de la dictature” criminalisent toute protestation et limitent la liberté d’expression. En outre, elles « établissent une responsabilité » pour cause d’« extrémisme ». Les porte-parole parlementaires de la dictature de classe de la bureaucratie corrompue et de la bourgeoisie monopoliste sont le Parti des Régions et le soi-disant Parti ‟Communiste” de l’Ukraine, qui est depuis longtemps devenu une force politique au service des intérêts du capital.
Le système répressif ukrainien se penche sur les appareils de police et les gangs de rue de provocateurs pro-gouvernementaux. Parfois, ces structures paramilitaires sont commandées par des officiers de police à la retraite. Des escadrons de la mort sont également en action. Selon des informations confirmées, deux personnes ont été enlevées dans un hôpital et torturées. L’un d’eux est mort dans une forêt. Les forces spéciales tirent avec précision sur les manifestants, et pas seulement avec des armes de dispersion. Un des tués, selon une photo de son corps, a été abattu d’un tir au cœur. Selon toutes les indications, il a été victime d’un tireur d’élite. Dans la matinée du 23 janvier, le nombre des tués oscillait de 5 à 7 personnes. Et nous ne connaissons pas l’ampleur réelle de la violence.
L’idéologie du régime au pouvoir est un mélange de nationalisme dans le genre de Poutine, des théories du complot et de la conviction dans leur droit, comme élite, de gouverner une populace stupide. Des groupes de soutien aux Berkout (la principale force de la police anti-émeute) sur les réseaux sociaux sont remplis d’articles antisémites qui prétendent que les dirigeants de l’opposition sont juifs et qu’ils veulent pervertir les gens en légalisant les mariages homosexuels. Cela ne diffère guère de la rhétorique des radicaux de la droite ukrainienne.
Au cours des derniers jours, non seulement l’extrême droite affronte le gouvernement, mais aussi des gens ayant des opinions plus modérées. Et ceux-ci constituent la majorité des manifestants. Beaucoup d’entre eux sont indifférents au nationalisme ou lui sont opposés. Beaucoup d’entre eux ne soutiennent pas l’intégration dans l’UE. Les gens vont dans la rue pour protester contre les violences policières. Et une grande partie d’entre eux est peu enthousiaste ou même sceptique à propos des affrontements dans la rue Grushevskogo. Souvent, on peut entendre que les radicaux de droite sont un ‟cheval de Troie” de M. Ianoukovitch et des services spéciaux, visant à discréditer le mouvement de protestation. Il y aurait certainement beaucoup plus Kiéviens qui participeraient aux protestations s’il y avait la possibilité, d’une manière ou d’une autre, de virer ces idiots utiles au gouvernement hors des rues. En tête de leurs revendications, ils demandent à être embauchés dans les services de sécurité de l’Ukraine après la victoire de la ‟révolution”.
Les anarchistes doivent participer à des manifestations et piquets de grève qui se consacrent à la défense des droits et libertés usurpés par les lois du 16 janvier. Il est logique de prendre des initiatives sur les lieux de travail ou dans les quartiers où nous sommes présents et de contribuer à saboter les décisions de la dictature. Par contre, il n’y a aucune raison de participer aux activités de la rue Grushevskogo, qui, depuis le début, n’ont aucun sens. Ces activités ne servent qu’à offrir au gouvernement une belle image pour la télévision et lui permettent d’identifier les éléments radicaux par la localisation des téléphones mobiles et par des enregistrements vidéo.
Que ce soit dans le cas d’une victoire de l’opposition ou dans celui d’une victoire du gouvernement, nous aurons à mener une longue et difficile guerre contre l’un ou l’autre de ces régimes. Ceci doit être compris. Nous devons rassembler des forces pour commencer à propager notre propre agenda libertaire et prolétarien dans la situation politique ukrainienne.
Ni dieux, ni maîtres !
Ni nations, ni frontières !
Syndicat des travailleurs autonomes, organisation de la ville de Kiev (organisation anarcho-syndicaliste)
23 janvier 2014
Traduction : XYZ / OCLibertaire
« Les politiciens ont dû obéir à la foule »
Une interview sur les manifestations à Kiev
Cet entretien avec un camarade du Syndicat des travailleurs autonomes de Kiev a été réalisée le 28 janvier 2014. Il jette une certaine lumière sur les événements qui se déroulent autour du Maïdan [le Maïdan Nézalejnosti, la Place de l’Indépendance] : un aperçu des raisons pouvant expliquer les protestations, leur concentration sur la personne du président détesté, les différences par rapport à la « révolution orange », le rôle de la droite, la faiblesse des luttes sociales et les scénarios possibles.
En regardant les photos de Kiev (par exemple, ici), il semble que toutes sortes de gens sont sur les barricades. À ton avis, qu’est-ce qui les rassemble ? Qu’est-ce que les gens font sur les barricades et de quoi leurs défenseurs discutent ? Seulement des questions pratiques du combat contre les flics ? Ou y a-t-il des assemblées, ou d’autres formes de débats ‟organisés”, autour des barricades ou ailleurs ?
Le motif principal des manifestations en ce moment est l’extrême impopularité du président. Bien sûr, les raisons réelles sont la crise économique, les inégalités sociales, la corruption, le délabrement des services sociaux, la pauvreté, le chômage – l’ensemble habituel des griefs qui poussent les gens à descendre dans la rue de nos jours. Ce n’est pas un dogme gauchiste, les gens parlent de toutes ces questions. Mais la force qui les a incités à cesser de râler dans leurs cuisines et à protester bruyamment est leurs sentiments envers le président Ianoukovitch. La revendication de démission du président en est l’apogée, mais c’est malheureusement la chose la plus radicale à laquelle les gens peuvent actuellement penser.
Le deuxième élément, c’est la haine pure envers les forces de police. Mais là encore, les manifestants ne pensent pas qu’il y ait quelque chose de mal avec le fait que l’un des organisateurs des manifestations – Iouri Loutsenko – était lui-même ministre de l’Intérieur ; pendant ce temps les Berkout et d’autres forces de police spéciales agissent comme d’habitude, et Loutsenko lui-même a annoncé qu’il disperserait des manifestations populaires avec des gaz lacrymogènes. Donc, là aussi, la protestation contre la police en tant que telle (elle a très mauvaise réputation parmi toutes les classes sociales ici) est canalisé dans une direction relativement inoffensive.
Le président, son gouvernement et la police sont les principaux sujets de discussion, je suppose. La tâche principale des manifestants, comme ils la voient, est de se débarrasser du Parti des Régions, c’est tout. Une petite fraction parle du rééquilibrage, dans la constitution, des pouvoirs du président vers le parlement. Mais bien sûr, les thèmes principaux sont en effet les questions pratiques – les gaz lacrymogènes, la nourriture, les boucliers, les cocktails Molotov, les tactiques de combats de rue, et des rumeurs sans fin au sujet de la menace imminente de l’introduction de l’état d’urgence, au sujet des tireurs d’élite et de la police anti-émeute (s’ils sont Russes ou pas, s’ils ont l’intention de se battre encore longtemps, etc.)
A propos des assemblées, non, je ne connais rien de la sorte. La situation est trop dynamique et instable pour faire de telles choses, je suppose ; de ce fait, je ne vois pas de formes de démocratie directe se développer sur les barricades en ce moment.
Il semble qu’il y ait beaucoup d’attaques ou d’occupations de bâtiments publics, mais la vie « normale » de la ville se poursuit. Est- ce vrai ? Á Kiev, les gens qui travaillent pendant la journée vont sur les barricades pendant la nuit ? Quelles autres formes de protestation jouent un rôle ? J’ai entendu dire que des universités étaient occupées ? Qu’est-ce qui se passe sur les lieux de travail contre le retard ou le non-paiement des salaires, par exemple ?
Oui, c’est vrai. Seules les parties centrales de Kiev sont touchées par les manifestations tandis que dans d’autres secteurs les affaires continuent comme d’habitude, rien n’est interrompu. Il y a eu plusieurs tentatives de déclarer une grève politique nationale, mais elles ont lamentablement échoué : l’opposition n’a aucun instruments pour cela, aucune organisation politique ne dispose d’un réseau national de cellules sur les lieux de travail, et les gens eux-mêmes n’ont tout simplement pas l’habitude de faire grève. La seule force qui pourrait théoriquement le faire – l’ancienne et bureaucratique Fédération des syndicats de l’Ukraine – est neutre. Le syndicat étudiant Action Directe essaient d’organiser la grève des étudiants – jusqu’à présent, ils ont en partie réussi à la déclencher mais seulement dans une université, l’Académie Mohyla de Kiev. Donc, oui, la plupart des gens travaillent ou étudient, et passent leur temps libre sur les barricades.
Il y a un groupe d’initiative appelée Avtomaïdan – les propriétaires de voitures qui utilisent leurs véhicules pour bloquer le trafic, en particulier à proximité des sites importants du gouvernement ou à proximité des résidences des gens au pouvoir. Une forme de protestation plus utilisée ici est le boycott par les clients des produits fabriqués par les capitalistes qui appartiennent au Parti des Régions. Il s’avère que c’est un succès relatif, du moins selon certaines informations.
Il y a eu une seule occupation d’université jusqu’à présent, et je ne suis pas sûr que l’on peut vraiment appeler ça comme ça, en fait. Nos camarades d’Action Directe essaient d’occuper tout le campus et de bloquer toutes les activités, mais à ce que je comprends, il n’est pas encore physiquement occupé.
Les protestations sur les lieux de travail concernant les salaires, etc. n’ont pas été reliées aux manifestations politiques jusqu’à présent. Par exemple, les travailleurs de Kyivpastrans – l’entreprise municipale qui contrôle le transport urbain – ont organisé leurs manifestations en décembre, certaines organisations de gauche les ont aidés, mais ils ne sont pas allé jusqu’à se déclarer en grève du zèle, et ils n’ont pas rejoint le Maïdan. En fait, le gouvernement local a fait de son mieux pour payer tous les arriérés de salaires fin décembre pour les calmer.
Une des dernières énormes mobilisations en Ukraine a été la ‟révolution orange”. En comparaison, qu’est-ce qui est différent aujourd’hui ? Est-ce que des gens se réfèrent à cette ‟histoire” ? Comment les manifestants parlent-ils de la « démocratie » ? Et quels espoirs sont reliés à une adhésion à l’UE ?
Tout d’abord, la ‟révolution orange” était une mobilisation fortement personnalisée. Les gens se sont concentrés sur un objectif précis : pour installer leur leader, Viktor Iouchtchenko, dans le fauteuil du président. Les structures politiques de Iouchtchenko contrôlaient la foule assez étroitement et organisaient tout sans heurts. Maintenant, les trois leaders de l’opposition parlementaire n’ont pas la confiance de la majorité des manifestants. Ils représentent le Maïdan dans les négociations avec le président, mais beaucoup de gens ne sont pas certains qu’ils ont un mandat pour cela. Par exemple, jeudi dernier [23 janvier], ils ont été hués par la foule, et le Maïdan n’a pas accepté leurs conditions qui avaient été négociées avec Ianoukovitch. Malgré toute leur colère, les politiciens ont dû obéir à la foule ; généralement, les gens sont beaucoup plus radicaux que leurs « représentants ». L’ensemble de la mobilisation en novembre est apparue comme une surprise pour eux, et depuis lors, ils n’ont pas pu saisir les événements et prendre les devants. Ce vide a été comblé momentanément par les groupes d’extrême-droite.
Une autre différence est qu’en 2004, la portée des questions abordées était beaucoup plus large. L’ensemble de la ‟révolution” était consacrée à l’élection présidentielle, mais encore, on pouvait légitimement proposer un agenda de gauche dans ce cadre, discuter de questions économiques et sociales. À cet égard, ce mouvement de protestation était beaucoup plus hétérodoxe que l’actuel ; maintenant on ne peut parler que des questions de la politique bourgeoise. Toute tentative de mettre en avant d’autres questions vous place dans le risque d’être étiqueté comme un ‟provocateur”.
Je ne dirais pas que les gens imaginent de nombreux parallèles entre les événements de 2004 et les manifestations actuelles. Tout d’abord, au cours des dix dernières années est apparue une nouvelle génération de jeunes gens qui étaient des écoliers à l’époque. Et maintenant, ils constituent une partie importante de la mobilisation. Deuxièmement, Viktor Iouchtchenko s’est avéré être une grande déception pour tous les participants de la ‟révolution orange”.
Les manifestants disent naturellement qu’ils veulent un véritable (bourgeois) Etat démocratique, avec l’État de droit, etc. Ils imaginent que la seule chose qui les sépare de cet idéal est Viktor Ianoukovitch, et ils sont convaincus que l’adhésion à l’UE est synonyme de démocratie, et aussi de prospérité et toutes les autres bonnes choses. L’UE sert de mythe qui concentrer tous leurs espoirs, tandis que la Russie est le pays de Mordor dans cette vision mythologique du monde.
Les partis de droite et les groupes fascistes jouent un rôle dans les manifestations. Quelle importance ont-ils réellement ? Reçoivent-ils beaucoup de soutien ? Quels types de rapport les autres manifestants ont-ils avec eux ?
A : Le parti d’extrême droite Svoboda [‟Liberté”] est le plus organisé des trois grandes forces politiques qui tentent de contrôler le mouvement de protestation. Ils sont le seul parti qui a des cellules réelles et actives dans diverses régions, une base militante réelle. Ainsi, en étant le plus organisé et le plus idéologique des trois, ce sont eux qui profitent le plus du mouvement. En dehors de Svoboda, il y a une coalition de groupes militants néo-nazis. Il est appelé Secteur Droit [Pravy Sektor]. Ils ont été formés au début des manifestations, et maintenant ils ont réussi à gagner une énorme importance et à conquérir des sympathies chez des personnes apolitiques et libérales. Ils sont surtout connus par leur militantisme démonstratif et leur agression, et le public ne voit rien de mal chez ces jeunes et mignons patriotes. Dernièrement, le même schéma se répète dans d’autres régions, où les hooligans néo-nazis se sont avérés être la force d’assaut principale dans la lutte contre la police et les nervis pro-gouvernementaux.
L’hégémonie fasciste était incontestable jusqu’au 19 janvier, lorsque les manifestations ont été rejointes par beaucoup d’autres personnes – des citoyens apolitiques quelconques, des libéraux et même de gauche. Cela s’est produit parce que l’ordre du jour des manifestations s’est déplacé sur l’abrogation des ‟lois de la dictature” adoptées le 16 janvier. Depuis lors, ils ont dû reculer un peu, mais néanmoins il est évident que sur le long terme, ces protestations bénéficieront énormément à l’extrême droite, qui est gagnante jusque-là. Dans le cas d’une victoire de l’opposition, ils obtiendront sûrement les forces de police, des services spéciaux, etc. Si Ianoukovitch gagne, cela signifie que la moitié du pays deviendra de fermes partisans de l’extrême-droite comme soi-disant la seule force radicale patriotique en mesure d’affronter le dictateur.
En attendant, la plupart des militants de gauche ont également rejoint les manifestations après le 19 janvier, parce que ces lois leur nuiront gravement à eux aussi. Ils ont trouvé leur place dans des activités d’infrastructure, telles que vigiles dans les hôpitaux d’urgence : ils stationnent là afin d’empêcher la police et les nervis de kidnapper les blessés. L’autre aire d’activité de la gauche est la tentative mentionnée ci-dessus d’allumer la mèche de la grève politique.
De l’extérieur, le mouvement de protestation semble avoir beaucoup en commun avec celui d’Istanbul l’année dernière (mais sûrement pas les températures …). Est-ce que les manifestants à Kiev et ailleurs en Ukraine voient un lien avec les soulèvements qui se sont produits dans le monde entier au cours des dernières années ?
Il est possible d’établir des parallèles en effet, mais du point de vue subjectif des manifestants ukrainiens, ces autres mouvements de protestation n’existent pas. Ils voient ces événements comme une lutte purement nationale, en essayant de les intégrer dans l’histoire ukrainienne, pas dans la vague mondiale des protestations.
Dernier élément mais pas des moindres, tu as suivi le mouvement depuis le début, et j’ai lu certaines de vos déclarations. Quelle est votre espoir pour ces manifestations, quel résultat positif pouvez-vous imaginer ? Mais aussi, quel est le pire résultat que vous pouvez imaginer ? Quel type de soutien attendez-vous de l’extérieur de l’Ukraine ?
Comme je l’ai dit, il y a deux résultats possibles. L’un est la victoire de M. Ianoukovitch, qui amènera un régime autoritaire dur sur le modèle des dictatures latino-américaines des années 1970. Cependant, pour Ianoukovitch, il sera difficile de gouverner le pays parce qu’il sera toujours soutenu, au mieux, par la moitié de la population et les dictatures ne peuvent pas survivre dans de telles conditions. L’un des scénarios probables alors peut être l’émergence d’un mouvement militant clandestin de guérilla, pas sans rappeler l’IRA en Irlande du Nord des années 1980 et 1990.
L’autre résultat peut être la victoire finale de l’opposition parlementaire. Cela se traduira par une république démocratique bourgeoise faible, politiquement instable, mais avec le maintien des libertés fondamentales – comme l’Ukraine de 2005 à 2009. Sauf que maintenant les fascistes seront beaucoup plus forts à la fois dans les lobbys du pouvoir et dans les rues.
Maintenant, il y a également le troisième scénario –qui serait peut-être le pire – c’est celui d’une véritable guerre civile entre l’Ukraine de l’Ouest et du centre, y compris Kiev, d’un côté, et l’Ukraine du Sud et de l’Est, de l’autre. Naturellement, ce serait catastrophique parce que les gens se combattront pour des chimères nationalistes des deux côtés. D’un autre côté, cela semble encore peu probable selon moi parce que l’Ukraine est un grand pays industriel. L’UE, la Russie et d’autres puissances mondiales sont peu susceptibles de permettre la création d’une zone de guerre chaotique dans un pays qui possède de grandes voies de transit du gaz et du pétrole, 15 réacteurs nucléaires, etc.
Je suppose que dans de telles conditions, la meilleure forme de soutien de l’étranger serait des actions pour contraindre le gouvernement ukrainien à faire machine arrière, mais sans faire preuve de la moindre solidarité avec l’extrême-droite. Je pense que des messages du genre « nous soutenons votre lutte, mais pas vos fascistes » seraient la forme optimale de pression en provenance de l’étranger.
Traduction : XYZ / OCLibertaire
Original : libcom