Bad Kids
Toulouse
Sur le rendu du procès des flics assassins de Zied et Bouna, et tant d’autres…
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Si Zyed Benna et Bouna Traoré, âgés de 17 et 15 ans, meurent électrocutés par 20 000 volts dans un transformateur EDF, c’est parce que cinq flics les coursaient.
Voilà ce qui peut arriver quand on habite Clichy-sous-Bois. En fin d’après-midi le 27 novembre 2005, une armada de flics débarque flash-ball à la main suite à une suspicion de vol sur un chantier. Les gosses, plein de bon sens, se mettent à courir face à la menace d’un nouveau contrôle d’identité, d’humiliations et de violences, d’un passage au poste dont on ne connaît toujours que l’heure de commencement. Zyed, Bouna et Muhittin sautent le mur de séparation de l’enceinte d’EDF, et seul ressortira, grièvement blessé, Muhittin, pour prévenir les familles que Zyed et Bouna ont été électrocutés.
Le soir-même, les habitants de Clichy-sous-Bois ragent de la mort des deux garçons. L’émeute se forme et embrase tout sur son passage. Le mouvement fait tache d’huile et d’autres banlieues de Seine-Saint-Denis puis de toute la France s’enflamment. Face aux pressions quotidiennes de la part de la police mais aussi face aux traitements de défaveur constants qui lui sont réservés, la « banlieue » ne pouvait que foutre le feu à ce qui lui rappelle sa mise à l’écart.
Commence alors le grand balai politique et médiatique, dansant sur la « sauvagerie » et la « barbarie » de ceux qui se révoltent, chantant les louanges d’une sécurité accrue et d’une ghettoïsation officialisée.
Les discours de tout bord démontrent un mépris de classe certain, mais sont aussi l’expression de bourges qui angoissent face à une révolte incontrôlable. Voilà le poids social dont est chargée la mort de Bouna et Zyed, pour laquelle se déroulent aujourd’hui, 10 ans plus tard, les derniers recours juridiques. Police, justice, pression sociale et politique, les procès de flics assassins cristallisent toujours les différentes composantes de la répression, et font, un peu, sauter le vernis.

POLICE PARTOUT …

Le procès en cassation contre les flics a eu lieu mi-mars 2015 à Rennes et le rendu était prévisible : relaxe pour les policiers mis en cause. La procureure y a dit 100 phrases nauséabondes et notamment celle-ci : « On n’envoie pas des policiers en Seine-Saint-Denis comme on en enverrait dans une banlieue pavillonnaire bretonne ». Sans sourciller, elle invoque ces « zones dangereuses », habitées par des hôtes ingrats, un ennemi intérieur qui justifie l’omniprésence policière aux vertus « civilisatrices ».
Mais la phrase doit être lue dans l’autre sens : ceux qui envoient des flics ne les envoient pour le même objectif en Seine-Saint-Denis et en banlieue pavillonnaire bretonne. Alors qu’autour des pavillons, ils protègent des biens et leurs propriétaires, les passages quotidiens en banlieue cherchent à maintenir l’ordre, à cadrer les mécontents et à gérer les exclus.
Le maintien de l’ordre, dont l’État français est un des meilleurs concepteurs, vise à protéger l’ordre social capitaliste et les intérêts des larbins qui maintiennent par la force cet ordre. Pour cela, les condés bénéficient d’une impunité totale concernant leurs actions et leurs interventions en banlieue. La violence légitimée dont ils sont les auteurs est quotidienne, humiliante, raciste, menant régulièrement à la mort de ceux qu’elle opprime. Pierre Cayet, Amadou Koumé, Bertand Nzohabonayo, Abdoulaye Camara, Houcine Bouras, Rémi Fraisse, Timothée Lake… Rien que pour l’année écoulée, la liste, déjà longue, est incomplète. Pendant un transfert, en garde-à-vue, en taule, en bas des tours, en manif, les lieux de la répression sont multiples et forment un ensemble au sein duquel la flicaille, de la municipale à la DGSI, trace une ligne entre les « citoyens » et ceux que l’État ne respecte pas.

… JUSTICE DE CLASSE …

« La justice est en train de se donner une nouvelle virginité ; du temps des tyrans et des rois, on ne pouvait pas se tromper : lorsqu’ils rendaient un jugement, il était juste qu’il soit partial. Maintenant la justice apparaît comme la face noble et incorruptible du pouvoir, comme si elle en était séparée, comme si elle n’en était pas une des béquilles les plus fortes. »
Lettre à mon assassin – infokiosk.net

Lorsqu’un flic est amené devant la justice par la famille ou les proches de ceux qu’il a tués, les issues sont souvent connues d’avance. Régulièrement, l’affaire ne sera pas jugée et le juge d’instruction annonce un non-lieu dès le dépôt de la plainte. Parfois, l’affaire est jugée et les flics ressortent par la grande porte, relaxés comme pour ce 18 mai 2015. Rarement, ils écopent de quelques mois de sursis.
Le vrai rôle de la justice c’est de tracer elle-même – grâce aux procureurs, aux juges et aux avocats – la ligne qui sépare l’autorisé de l’interdit. La justice n’affirme pas de ‘‘droits’’, elle donne autorité et objectivité à des lois qui sont celles d’un État, qui ne peut être autre chose qu’un État bourgeois, structure politique destinée à la bourgeoisie pour pouvoir exploiter et dominer sans encombre.
La Justice est l’organe qui parait tenir droite la démocratie. Autant on peut douter de la police ou des politiques, autant la justice est comme exempte de critique, ses jugements sont les bons presque de grâce divine. Cette institution est devenue une étape incontournable pour que les victimes soient reconnues comme telles : si tu ne vas pas en justice, c’est que tu n’es pas vraiment victime, pas vraiment innocent non-plus. En 200 ans, le jugement par l’État s’est imposé comme la voie qui permet de « trouver la paix », de « tourner la page » ou d’entamer un deuil. Seulement, le résultat énoncé par n’importe quel juge ne rendra pas un proche assassiné. Cette justice ne sera jamais de notre côté et continuera à blanchir les flics, à nous mettre en taule pour de vulgaires larcins, pour nous faire marcher droit avec ou sans travail sous peine de sanctions.

Retour de flammes !

Face au désert politique qui règne en France, les familles et les amis des personnes abattues par la police n’ont pas d’autres choix que de constituer des comités Vérité et Justice visant à faire reconnaître l’implication directe de la police dans la perte de leurs proches. Cette revendication, venant de la base, des premiers concernés, ne peut pas être entendue comme une simple complainte affective. C’est évidemment une intervention politique, une critique de la police, de son rôle comme de ses agissements, contre les prolétaires habitant en « banlieue ». La multiplication de ce genre de comité montre qu’un seul et même scénario s’applique à tous ces meurtres. Et la thèse accidentelle défendue par la police et la justice apparaît à chaque fois comme une provocation de plus.
Chercher la légitimité là où elle est, c’est-à-dire du côté du pouvoir bourgeois, semble être pour le moment la seule issue des comités Vérité et Justice, qui se cassent les dents sur chaque marche du Palais. Mais le but ultime affiché par ces comités, en l’occurrence la reconnaissance juridique de la responsabilité de la police dans la perte d’un proche, n’est peut-être pas l’élément le plus important de leur dynamique. En effet, ces collectifs, qui regroupent les proches et les moins proches d’une personne assassinée par la police, illustrent les nouvelles tentatives politiques de solidarité de base entre prolétaires. Seulement, face au contexte antipolitique de ces dernières années, ces tentatives n’ont pas la possibilité de s’accrocher à un réseau de collectifs de base luttant contre d’autres types d’offensives capitalistes, étatiques ou privées. Alors, la contradiction principale de ces collectifs [L’Etat nous tue, nous voulons qu’il le reconnaisse et qu’il se condamne.] tourne en faveur d’un Etat tout puissant qui fait logiquement sa loi, menant vers une défaite de ceux-ci dans les procédures officielles. La multiplication des offensives capitalistes contre les prolétaires conjuguée à l’absence de plus en plus marquée de toute représentation politicienne laisse une place immense à l’auto-organisation, dans les quartiers comme dans les campagnes. Par l’activité première des comités Vérité et Justice1, il faut espérer une diffusion de cette forme de solidarité de base. La construction, au fur et à mesure des expériences politiques futures, d’un réseau de base visant à connecter les différentes tentatives d’auto-organisation des prolétaires contre les offensives qu’ils subissent (restructuration urbaine, attaques sur le salaire, dégradations des conditions de travail, violences policières etc.) apportera aux comités Vérité et Justice une autre issue politique, celle de la rue, donc d’un rapport de force effectif. Cette force politique des territoires ouvriers contribuera à la limitation pratique des crimes policiers, parce qu’on ne tire pas sur une poudrière organisée. Ce réseau ou ces réseaux pourraient prendre toutes sortes de formes, l’essentiel réside dans l’ambiance qu’ils imposeraient aux tenants du pouvoir capitaliste, une consistance révolutionnaire.
Jusqu’alors, on devra encore subir la raison d’Etat en pleine gueule, sans prise sur les situations. Et les quelques manifestations offensives qui pourront ici et là rappeler qu’on ne compte pas rester calme face à la mort d’un proche devront se contenter de foutre un peu la merde et d’entendre leurs voisins crier « AC le Feu ! »2.

 

Bad Kids

 

1) Les infiltrations politiciennes présentes dans certains de ces comités, les reconfigurations gestionnaires de certains membres de base ou la récupération pure et simple de ces initiatives ne doivent pas nous induire en erreur. Ces comités, parfois très exposés médiatiquement, sont aussi soumis à des dynamiques politiques visant une issue institutionnelle, pour gérer notre colère. Tout ceci dépend de la composition initiale du comité et de l’ambiance politique l’entourant. S’il n’y a rien, alors il y a de grande chance que celui-ci se contente d’exister dans l’étroit cadre étatique. C’est une réalité de situation face à l’absence de perspectives. Rien de définitif.
2) ACLEFEU pour Association Collectif Liberté, Égalité, Fraternité, Ensemble, Unis. Récupération électoraliste de gauche visant à réintégrer les banlieues dans les questions de politique institutionnelle et dans les urnes.

 

Lien PDF du tract :

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