Bad Kids
Toulouse
Qu’est-ce qu’un drone ?
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Article présent dans le numéro 4 de Badkids – Mai 2014

Drone1

 

Fin octobre, s’ouvrait à Toulouse la neuvième édition du salon SIANE, salon d’industriels du Sud, avec en guest star le drone. Fin novembre, c’est au salon de jeu des flics de France, le Milipol, que celui-ci se fait remarquer, devant les yeux ébahis et la bouche baveuse des forces de l’ordre. Du monstre de fer au coléoptère PVC, le drone définit une catégorie de véhicule, sans pilote humain à bord, qui emporte une charge utile, destinée à des missions de surveillance, de renseignement ou de combat. Et il a grave la cote. En activité depuis ses premières opérations de largage de tracts au Vietnam, le drone est le représentant officiel de la guerre propre des puissances occidentales. Il a fait ses premières armes (opérations de combat) au Kosovo et s’est établi comme prince du sombre ciel en Irak et en Afghanistan grâce au drone américain Predator, véritable terreur invisible. Du drone militaire au drone civil, il n’y a qu’un temps d’adaptation. Grâce aux ingénieurs israéliens et à leurs patrons qui tiennent une grande partie du marché, l’évolution technologique de ces engins semble sans limite. Quand la guerre devient un simple maintien de l’ordre, ce maintien de l’ordre ne connaît aucun problème de transfert vers des territoires « civils », à l’intérieur des terres pacifiées du capitalisme global, les métropoles. À travers quelques exemples éclatés, nous allons suivre des histoires de drones puis nous tenterons de comprendre le véritable enjeu de ces machines de « paix ».

Figures fractales de l’œil de Dieu

Pakistan :

Comme un aigle virevoltant au gré des courants d’air, le drone Predator dessine des huit au dessus des plateaux et montagnes pakistanaises. À 15 000 mètres du sol, son œil scrute les moindres faits et gestes, attroupements et transactions. Rien n’est laissé au hasard, quoique. Cette altitude permet de distinguer des corps, des armes et des véhicules. Seulement, l’œil assassin hésite. Son opérateur, installé dans un des conteneurs de la base militaire du désert du Nevada, a pour ordre de détruire une cible, un stock d’armes ou un chef taliban la plupart du temps, un haut ponte d’Al Qaida les jours de propagande. Seulement, il ne les voit pas. Il les devine une fois l’indication donnée. Le temps entre l’ordre technique de lancement du missile et l’impact de celui-ci est d’environ huit secondes. Mais parfois, la bergerie ciblée, si vide et immobile, laisse apparaître un petit être à ses abords. Un gosse ou un chien, à cette altitude, c’est à peu près la même chose. Pas de retour en arrière possible. Boom. Un exemple parmi tant d’autres de l’intervention des cieux. Dommages collatéraux, stratégies de la tension et invisibilité. Le théâtre d’opérations du Pakistan Nord-Ouest n’a plus rien d’une guerre, c’est une mise à l’amende quotidienne où le drone a sonné le glas de la mort plus de deux mille fois depuis 2004.

Océan Indien :

Guerre aux pirates ! Depuis 2009, des drones « Reaper » (utilisés en Afghanistan) et « Scan Eagle » survolent l’océan Indien, entre les côtes somaliennes et l’archipel des Seychelles, à la recherche de la tête de mort au collier de sabres croisés. Le point de vue qu’offre un drone, et les capteurs qu’il emporte entre ses ailes, donnent, non pas un avantage considérable, mais une suprématie irrémédiable dans le jeu du chat et de la souris. L’ironie, c’est que les drones « Scan Eagle » utilisés par les armées et les entreprises privées dans leur croisade étaient à l’origine destinés à l’analyse météorologique des océans ainsi qu’aux repérages des bancs de thon pour les pêcheurs, pêcheurs que ces pirates étaient avant que l’on ne pourrisse leur source d’approvisionnement de toutes sortes de produits expurgés des cales des supertankers, pétroliers et autres paquebots débordant de marchandises. Les techniques de pêche ravageuses orchestrées par les géants de l’industrie du poisson viennent conclure le pillage des habitants de la corne de l’Afrique. Face à cela, les quelques expropriations réussies restent de biens maigres lots de consolation, bien que les sommes récupérées se comptent en millions de dollars. Vive la lutte des pêcheurs somaliens !

Palestine :

Le maintien de l’ordre est la définition la plus précise du cadre d’affrontement entre Israël et les populations palestiniennes depuis la guerre des six jours qui en 1967 signifia la défaite de l’alliance arabe contre le colon sioniste. Avec l’ouverture du marché du travail israélien aux palestiniens, c’est une assimilation basée sur l’exploitation et la neutralisation des volontés autonomistes, notamment par le contrôle de l’offre de travail et des ressources d’eau, qui s’est progressivement installée. Le développement des drones est en partie l’œuvre des laboratoires israéliens qui en fabriquent depuis maintenant trente-cinq ans (premier exportateur mondial devant les USA). Véritable zone de test, les territoires palestiniens sont acculés par les drones qui les survolent nuit et jour, à la recherche d’informations ou simplement pour montrer qu’ils sont là, qu’ils veillent. De 2008 à 2013, 2269 palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, dont 911 par drones armés. Dans l’opération Pilier de défense, 143 des 171 Palestiniens tués par Israël en 2012 l’ont été dans des attaques de drones. Véritable visionnaire en matière de combat urbain, Israël ne suit pas son confrère ricain qui a décidé de tout miser sur des drones de combat plus performant, égalant les avions de chasse. Non, Israël, du fait de la promiscuité des zones de combat et des zones israéliennes civiles (prendre également en compte les colonies jouxtant les villages palestiniens), mise sur la miniaturisation des drones et le perfectionnement panoptique des systèmes embarqués, comme les capteurs vidéo, audio et sensoriels. Une approche urbaine qui ne peut que nous intéresser pour la suite des investigations concernant l’utilisation des drones dans les zones pacifiées des centres d’accumulation.

Frontière américano-mexicaine :

Texas. Arizona. Frontière. Migrants. Il ne faut pas plus de mot pour comprendre ce qu’un drone vient faire là-dedans. Avec actuellement dix drones en sa possession, le CBP, le service des douanes et de protection des frontières ricain, couvre l’intégralité des routes migratoires tentant de se frayer un chemin pour l’El dorado US. Équipés de caméras jour/nuit et de détecteurs de mouvements, les premières utilisations ont démontré l’efficacité du matériel dans le désert de Sonora : sur 4000 migrants détectés, 1900 ont pu être arrêtés à la frontière. La seule raison pour laquelle les 2100 autres ont échappé aux chiens, c’est le manque de chiens. Mais ça ne suffit pas. Le service fait actuellement pression pour pouvoir réaliser des interceptions téléphoniques le long de la frontière et bien sûr armer ses drones de flashball, lacrymo et taser. Lorsque l’on sait que l’ouverture à l’espace aérien pour les drones aux States se déroulera dès 2015, il y a franchement de quoi s’inquiéter quant à la sécurité de nos crânes …

France, Deauville (2011):

C’est le G8 et il y en a plus d’un qui veulent en découdre avec les grands de ce monde. Les flics sont au taquet et vont avoir un appui de taille de la part de l’armée de l’air : mise à disposition d’un drone Harfang qui, contrairement à son habitude, ne servira pas à prévenir d’une éventuelle attaque aérienne, mais à suivre avec attention l’ensemble des groupes anti-G8 afin de contrôler leurs actions et prévenir d’éventuelles attaques. Il ne s’est franchement rien passé de fou à ce G8 là …

Banlieue 13 :

E.L.S.A. est le drone qui a été retenu par le Ministère de l’Intérieur pour couvrir les zones sensibles urbaines, quartiers ou encore manifestations. Après plusieurs tests apparemment convaincants au dessus du département de la Seine-Saint-Denis, le drone est désormais prêt à l’emploi pour le GIPN et les CRS. Et il veille. Avantage pour nous : ce drone ne vole qu’à 150 mètres en moyenne… Avec l’engouement de tous les politiciens de Marseille, on peut considérer que la chasse est ouverte : «Je demande à l’État de faire de Marseille un véritable laboratoire contre le crime, un laboratoire avec de nouveaux moyens technologiques. Maintenant, on a des drones, et on va s’en servir» (Eugène Caselli). À nos tire-chailles …

Londres :

C’est la merde pour les prolos sur le territoire londonien comme peuvent en témoigner les émeutes qui ont ravagé les rues il y a un peu plus de deux ans. Alors certains se débrouillent comme ils peuvent. On squatte une cabane d’un ami, on loue une chambre miteuse chez un vendeur de sommeil ou encore on ouvre un bâtiment vide. Seulement, les flics ne sont pas de cet avis. A Slough, dans la banlieue ouest de Londres, la police municipale a envoyé un drone (loué 27 000 livres) pour débusquer les habitants clandestins, soupçonnés au nombre de 6500, à l’aide d’une caméra thermique accrochée au drone-espion. Chaque proprio fraudeur a reçu une amende de 250 livres et le droit d’assister à la destruction de sa cabane à outils. Rien n’est dit sur les gens qu’ils ont foutus à la rue.

The last one :

Il y a encore beaucoup, mais vraiment beaucoup d’exemples. Alors on va en donner un dernier, de ceux du futur. Sur le site du Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel, l’auteur nous donne un avant goût du traquenard : « une miniaturisation extrême pouvant permettre à un engin camouflé de se déplacer en milieu urbain le plus discrètement possible, lui permettant également d’être ainsi moins vulnérable à un tir ennemi ; la seconde mission assignée à ces futurs insectes, est le vol à l’intérieur des bâtiments pour des missions d’observation, de surveillance, de reconnaissance, d’espionnage, voire d’attaque [robot insecte kamikaze pouvant exploser]. Une nouvelle arme contre les simples manifestants, les opposants politiques, les guérilleros urbains, qui pouvaient profiter des avantages de la grande ville pour se cacher, se dissimuler, se protéger. » . Le dossier intitulé « Micro et Nano Drone en Ville » d’où est extraite cette citation viendra à merveille occuper vos soirées flip entre amis.

Ce dont le drone est le nom

Dans chaque exemple cité ci-dessus, le drone agit comme un oracle, capable de prédiction, donc d’ordre. Là est sa force. Sa position physique, voir sans être vu, l’inscrit dans sa position sociale, celle d’une intouchabilité inquiétante. L’usage des drones se décline sur deux modes. Le premier, celui de l’action, de la frappe aérienne aux mouchards de squatteurs, agit comme établissement de réalités sociales et historiques, c’est-à-dire comme des exemples à l’appui du second mode. Ce second mode, que l’on appellera fantôme, est très certainement le plus performatif et le drone n’en est qu’un attribut. Le fantôme est cette chose impalpable qui nous dit qu’elle est là, au dessus, en dessous, dans nos têtes, à épier nos moindres faits et gestes, à la recherche d’un dérangement trop conséquent. La meilleure des polices agit ici et maintenant en intégrant dans chacune de nos actions ou pratiques quotidiennes l’œil de la normativité répressive, cet œil qui cadre nos envies pour que rien ne dépasse du processus journalier de production et de consommation, au pied de la lettre capitaliste. La formule du possible, du probable, avec quelques démonstrations passées, permet le bluff sécuritaire, un peu comme une caméra éteinte braquée sur nos épaules. La question centrale est alors : « Va-t’elle se déclencher ? ».

Ainsi, le drone s’inscrit dans l’ensemble de l’arsenal technologique agissant comme police structurelle. Cet arsenal n’a pas l’exclusif du titre policier. Un drone sert à accroître les rendements d’une exploitation agricole, un téléphone portable à joindre ses proches et un satellite à observer la fonte des glaces. Mais pas que … En effet, inutile de tenter de découvrir la primauté de l’un sur l’autre, entre technologie et police. On ira les fondre dans un même mode réflexif, celui de la collecte de données policées, afin de fluidifier et d’accroître l’accumulation capitaliste mondiale. La police est à la technologie ce que la technologie est à la police : un recours indispensable. Moyens de collecte de données pour l’une, écoulements des stocks grâce à des clients boulimiques pour l’autre.

Si nous devons trouver ce qui distingue le drone des autres machines, c’est du côté du coup d’avance certain qu’il promet et dont il est dur de se déjouer, l’idéal panoptique. Le contrôle vu du ciel offre des capacités infinies en matière de repérage, thermique, infrarouge, X. Le contrôle au plus près de nos bouches, de nos yeux et de nos oreilles ouvre les portes de nos stratégies, qu’elles soient débrouillardes ou révolutionnaires.

Et vice et versa. De nombreux exemples ont démontré les capacités des forces subversives (pour parler en mode militaire) à détourner de son usage premier la technologie policière. Bien qu’une spécialité comme celle du drone semble inappropriable à première vue, il ne faudra que très peu de temps pour savoir l’utiliser à notre fin1. Et ils s’en défendront très certainement.

Mais s’il y a une chose qu’ils n’ont pas, qu’ils n’auront jamais, ces flics de tous pays, c’est le miracle de la loi du nombre. Une loi, qui, on peut l’espérer, les laissera entendre, par le biais de leurs petites oreilles portatives, qu’on a décidé de broyer leurs palais et qu’ils n’y pourront rien. En attendant, un artiste anglais propose des sweat-shirts anti-drone à un peu moins de 500 dollars … Y a pas à dire, le drone, ça pue.

1 Inutile de préciser que l’utilisation de tels engins pour des missions subversives recevra l’appellation juridique qu’elle mérite : Terrorisme.

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